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LA GRANDE VILLE S’ÉVAPORE/ET PLEUT À VERSE SUR LA<br />
PLAINE/QU’ELLE SATURE : À PROPOS DE LA DILUTION<br />
DE QUELQUES MARQUEURS SOCIAUX ET<br />
LINGUISTIQUES DE L’URBANITÉ<br />
UNE UNANIMITÉ SI PROVISOIRE<br />
Dans la préface de 1925 de La vie unanime, dont est tirée une partie du<br />
titre de ma communication, Jules Romains écrit : « Comment n’a-t-on pas senti non<br />
plus que La vie unanime était d’abord le livre d’un enfant parisien, qui s’était baigné<br />
dans Paris, enivré de Paris pendant des heures et des jours innombrables, qui<br />
connaissait tous les quartiers, tous les faubourgs, avait marché dans toutes les rues,<br />
savait distinguer, les yeux clos, le bruit d’un carrefour du bruit d’un autre, recevait<br />
du sol, des murs, du ciel de la grande ville mille communications secrètes qu’il<br />
enfermait dans son cœur, qui étaient nuit et jour sa richesse et son ravissement, et<br />
que tel cri perdu qu’il était seul à entendre, tel frôlement, tel souffle faisaient<br />
frissonner jusqu’aux larmes et mettaient dans une espèce de lucidité<br />
médiumnique ? » (1983, p.31). L’enfant parisien de ce début du 20 e siècle est<br />
traversé et comme envoûté par les échos de la ville, dont il perçoit jusqu’aux ultimes<br />
frémissements ; la cité est toute de sensualité, et plutôt un cocon qu’une structure de<br />
béton, de fer, de pavés et de bitume ; les quartiers sont identifiés avec leurs<br />
singularités et leurs attributs visuels, auditifs, tactiles et très certainement olfactifs.<br />
Mais ce jeu de tous les sens ne concourt pas à établir des bornes, ne fonde nullement<br />
un univers provincial au sein de la métropole ; ici, point de quartier coupé de<br />
l’ensemble, de rue d’où l’on ne sort pas, point de ségrégation entre le bourgeois et le<br />
populaire, mais au contraire une grande fluidité des mouvements. Le passant<br />
n’existerait pas sans la ville, qui le protège et le régénère ; en retour, il porte dans<br />
d’autres passages, dans d’autres voies et places, les messages qui lui ont été confiés.<br />
La ville-réseau, la ville-toile, la « ville tentaculaire » (Verhaeren) a souvent<br />
été décrite par les écrivains, les poètes et, à partir de la seconde moitié du<br />
XIX e siècle, étudiée par les sociologues, à commencer par Durkheim. L’essor du<br />
structuralisme a conduit à concevoir la ville à la fois comme un lieu cloisonné et<br />
comme un lieu d’échanges économiques et sociaux. Je tenterai de retracer, en<br />
adoptant une perspective socio-historique, mais en fondant également mon analyse<br />
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