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Ville

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LA GRANDE VILLE S’EVAPORE/ET PLEUT A VERSE SUR LA PLAINE…<br />

intérieure ». C’est ainsi qu’un Milton, un Racine ou un Ledoux auraient été<br />

pénétrés, de même que leurs lecteurs et commanditaires, des échos des textes grecs<br />

et latins. Steiner va jusqu’à soutenir que l’activité littéraire, au XVIII e siècle, est<br />

essentiellement paraphrastique, dans la mesure où l’idéal aurait été « une élévation,<br />

l’embellissement d’un contenu qu’il était alors possible d’extraire du poème et<br />

d’exposer dans la prose de tous les jours » (ibid. p. 180). Cette paraphrase qui,<br />

évidemment, ne permet pas d’appréhender le génie propre de l’œuvre, autorise<br />

néanmoins la mise en perspective de ses origines organisationnelles.<br />

L’invisibilité du peuple, de son langage et de son corps est presque totale ;<br />

le sujet s’efface devant la majesté, garantissant ainsi, provisoirement, le bon<br />

fonctionnement des institutions autocratiques. Même lorsqu’il est fait allusion à des<br />

variantes régionales, qui s’expriment par exemple dans les nuances de quantité<br />

vocalique préconisées par le Jurassien d’Olivet, et dont la validité est contestée par<br />

d’autres grammairiens (cf. Bonnot, à paraître), la critique s’inscrit toujours au sein<br />

de ce français qui, comme l’écrit Marguerite Buffet (1668, p. 4), est proche du<br />

pouvoir : « Il n’y a point de véritable Courtisan dans les Cours voisines, qui ne<br />

l’entende, & qui ne le parle, puis que cela suffit pour se faire aimer du Prince, &<br />

pour se maintenir auprès de luy ». Les provinciaux eux-mêmes, lorsqu’ils s’essaient<br />

à définir les pratiques des locuteurs du cru, adoptent généralement une démarche<br />

prescriptive, voire répressive. Ainsi, en 1753, Madame Brun, née Maisonforte, qui<br />

publia à Besançon un Essay d’un dictionnaire comtois-français, relève que<br />

« l’usage décide de la prononciation autant que des mots. Il y a longtemps qu’on a<br />

comparé le langage à l’eau que l’on boit, ils sont bons l’un & l’autre, lorsqu’ils<br />

n’ont aucun goût » (p. 36). Autrement dit, la prononciation « vicieuse » est l’haleine<br />

du peuple et l’absence d’odeur ne fait sens qu’en regard de la fétidité des bas<br />

quartiers. Lorsque L’Hérault de Lionnière, dans un ouvrage apologétique publié en<br />

1703, observe que langue et monarchie ont partie liée, et que l’une comme l’autre<br />

sont « montée [s] par degrez au sommet de la perfection » (p. 77), c’est d’une<br />

langue désincarnée qu’il est question, entièrement au service du bien dire et du bien<br />

penser social. La machine est lancée et la réglementation de la langue atteindra<br />

bientôt des raffinements qui conduiront peu à peu à une séparation partielle du<br />

français oral et du français écrit (Bonnot, 2001).<br />

DE LA DÉLITESCENCE DE L’URBANITÉ ET DE L’URBANISME<br />

Il est probable que c’est dans cette situation d’enfermement linguistique et<br />

social, conduisant malgré les apparences et les clichés démocratiques — école pour<br />

tous, apparition progressive des logements sociaux, de la liberté de parole, droit de<br />

vote, etc. — à une séparation toujours plus marquée des « élites » et des fractions<br />

dominées, qu’il convient de chercher au moins quelques-uns des déterminants de<br />

l’éclatement ultérieur du tissu urbain et de la perte de repères linguistiques clairs.<br />

Dans les années révolutionnaires, le processus de fragmentation est déjà à l’œuvre<br />

(insurrections des campagnes, hantise de l’anarchie) et les tentatives de maintien de<br />

l’ordre compromis sont lisibles jusque dans les textes les plus inattendus. Ainsi,<br />

dans un pamphlet publié en 1790, faussement signé par Dillon, Sartines, Lenoir, La<br />

Trolière et compagnie (sic) 1 , on préconise de construire dans les faubourgs parisiens<br />

1 Sartines et Lenoir furent lieutenants de police sous l’ancien régime, Dillon général girondin massacré<br />

par ses troupes à Lille, à moins qu’il ne s’agisse de son homonyme, l’archevêque de Narbonne. Germaine<br />

de Staël écrit à propos de Sartines : « M. de Sartines était un exemple du genre de choix qu’on fait dans<br />

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