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Ville

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LES LANGAGES DE LA VILLE<br />

Une configuration occulte se dégage des protocoles romanesques<br />

et filmiques, en vue d’une lecture en spirale du mythe de Babel. Le trajet<br />

hélicoïdal dont Zénon constitue le point focal nous entraîne dans une<br />

dynamique tour à tour édénique et infernale.<br />

Un tracé concentrique caractérise le retour du médecin alchimiste<br />

dans sa ville natale. Nous entrons dans la fiction romanesque selon un<br />

cheminement circulaire qui nous indique le sens de lecture ; le paratexte<br />

yourcenarien conseille au lecteur de déchiffrer la rondeur du globe :<br />

« Medium te mundi posui […] Je t’ai placé au milieu du monde,<br />

afin que tu pusses mieux contempler ce que contient le monde » 1<br />

L’histoire de Zénon est contenue dans un parcours cyclique dont la courbe<br />

s’achève à Bruges.<br />

Le générique d’André Delvaux installe également le spectateur<br />

dans une activité de lecture en boucle ; les inscriptions aperturales offrent<br />

une vision concentrique de la vie de Zénon qui revient trente ans plus tard<br />

après avoir parcouru le vaste monde. De l’enfance à la mort probable du<br />

personnage, ces mentions initiales nous plongent dans une dynamique<br />

funeste, à lire comme la chronique d’une catabase.<br />

Les cycles infernaux dans lesquels nous pénétrons<br />

progressivement métaphorisent l’encerclement d’une conscience libre au sein<br />

de la folie collective. De fait, le roman yourcenarien s’ouvre et se clôture<br />

selon la logique angoissante de la spirale :<br />

« […] parmi les pensées qui traversaient vertigineusement son<br />

esprit était celle que la spirale des voyages l’avait ramené à Bruges, que<br />

Bruges s’était restreinte à l’aire d’une prison, et que la courbe s’achevait<br />

enfin sur cet étroit rectangle » 2 .<br />

L’angoisse du gouffre est transposée à l’écran par le réseau des routes qui se<br />

croisent et se superposent au cœur d’une réalité de plus en plus sombre. Ce<br />

cheminement occulte à travers l’intolérance et la haine nous propose une<br />

lecture en creux du Paradis et de l’Enfer.<br />

Une topographie abyssale se dessine, lisible dans la stratégie<br />

romanesque de l’emboîtement. Le titre du roman – dont la traduction<br />

anglaise est « The Abyss »- et l’exergue second, qui relaie la métaphore<br />

inaugurale, invitent le lecteur à l’exploration des zones d’ombre. Ce<br />

processus narratif enclenche une activité métonymique qui oriente la lecture<br />

du clair vers l’obscur, dans un univers de représentation à double fond.<br />

En ce sens, le générique d’André Delvaux offre aussi un horizon<br />

d’attente matriciel qui renvoie au symbolisme embryologique du titre<br />

yourcenarien : la descente du coche au creux du vallon préfigure le trajet<br />

régressif de Zénon dans Bruges ; l’effet de surcadrage permet d’ancrer les<br />

premières images dans un espace de plus en plus restreint, comme l’annonce<br />

métonymique d’une ville qui sera aussi une prison. Le système de cadre dans<br />

le cadre, avec les rideaux d’arbres qui barrent les images d’ouverture,<br />

instaure une vision carcérale et intériorisée de l’enfer brugeois.<br />

1 M. Yourcenar, op. cit., p.10.<br />

2 Ibid., p. 438.<br />

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