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Ville

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LA HAINE DANS LA CITÉ NOUVELLE…<br />

communauté d’internautes réfère précisément à la fonction apaisante et rédemptrice<br />

de la communication qui unifierait l’ensemble des acteurs sociaux dans un espace<br />

dialogique sans frontières ni contrainte temporelle 1 .<br />

Le parcours analytique esquissé s’offre de manière exemplaire au cursus<br />

scolaire et universitaire, par le fait qu’une éducation compétente des jeunes<br />

générations en matière de critique de l’Internet, a fortiori de la cyberpropagande de<br />

la haine est tout aussi importante qu’une législation efficace ou que l’utilisation de<br />

logiciels de filtrage performants. Par ailleurs, cette approche permettrait de<br />

confirmer la pérennité de la rhétorique, outil civilisateur aujourd’hui abandonné par<br />

la plupart des institutions scolaires.<br />

Pourtant, l’analyse rhétorique des discours négationnistes sur le Web<br />

soulève une question fondamentale. Malgré les apparences, s’agit-il vraiment d’une<br />

praxis sociale destinée à emporter l’opinion publique par la pertinence des<br />

arguments soutenus ? Compte tenu du fait que ces discours cherchent à nier des<br />

réalités humaines, historiques, culturelles non vraisemblables mais vraies – hier,<br />

aujourd’hui comme demain nous sommes avec Auschwitz – il faudrait conclure par<br />

la négative et suivre Aristote dans un passage tiré des Topiques :<br />

Il ne faut pas, du reste, examiner toute thèse, ni tout problème : c’est<br />

seulement au cas où la difficulté est proposée par des gens en quête<br />

d’arguments, et non pas quand c’est un châtiment qu’elle requiert, ou quand<br />

il suffit d’ouvrir les yeux. Ceux qui, par exemple, se posent la question de<br />

savoir s’il faut ou non honorer les dieux et aimer ses parents, n’ont besoin<br />

que d’une bonne correction, et ceux qui se demandent si la neige est blanche<br />

ou non, n’ont qu’à regarder. (Topiques 105a5)<br />

Mais la spécificité de l’Internet est qu’il tend à se substituer aux médiateurs<br />

traditionnels de la mémoire humaine (cercles familiaux, communautés religieuses et<br />

Etats nations), tout en fragmentant infiniment le réel sociétal qui nous entoure et qui<br />

nous constitue en tant qu’individus. Le tout communicationnel que nous promettent<br />

les promoteurs du Web risque d’atrophier nos capacités mêmes d’entrer en contact<br />

avec autrui et d’établir ce que l’on appelle… la réalité.<br />

Cela nous permet d’avancer les constats suivants : la catastrophe humaine,<br />

sociale et culturelle qu’est la Shoah montre qu’il faut se mettre à l’écoute des poètes<br />

– Paul Celan, Edmond Jabès, Primo Levi, et de celles et ceux qui sont revenus de làbas,<br />

afin de partager cette impossibilité humaine que fut Auschwitz : tel restera<br />

notre principal devoir de mémoire, d’enseignant, de chercheur, de politique –<br />

d’homme – si nous voulons maintenir des formes humaines dans la vie sociale 2 .<br />

Nourrir ce dialogue-là, qui est fragile, exigeant, périlleux est un impératif moral à<br />

l’égard du passé et du présent, mais également un impératif de sens : il nous faut<br />

penser avec toutes les formes de l’inhumain pour donner sa chance à un avenir<br />

viable.<br />

Nos investigations consacrées au discours négationniste sur le Web nous<br />

conduisent à un autre constat dont il faudra sans doute évaluer la portée. Parmi les<br />

nombreux sites qui se sont spécialisés dans la lutte contre les négationnistes, nous<br />

avons lu sur le site http ://www.hatewatch.org un message intitulé « HateWatch<br />

1 Lire à ce sujet le livre de P. Breton et S. Proulx intitulé L’explosion de la communication (1996),<br />

notamment le chapitre 14 consacré à la dimension utopique de la communication.<br />

2 Sur les conditions de cet échange dialogique, voir M. Rinn, Les récits du génocide (1998), notamment le<br />

chapitre 1 intitulé « Dire ou taire : un dilemme », pp. 19-60.<br />

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