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NI DE LA VILLE, NI VRAIMENT DE LA CAMPAGNE, CHARLES BOVARY…<br />
Bref, Charles est de la campagne mais n’est pas un paysan, est habillé en<br />
bourgeois lorsqu’il entre au collège mais n’est pas un bourgeois….et de plus il entre<br />
dans une classe de « petits » alors qu’il a l’âge d’être dans les grands. Le « grand<br />
pupitre » apporté par « garçon de classe » peut être considéré comme une figure<br />
dont le thème est explicité par l’implacable jugement porté par le proviseur :<br />
« […] il passera ‘dans les grand’où l’appelle son âge ».<br />
Si la situation de Charles le place, au moment de son entrée au collège à<br />
l’interférence des champs de la campagne et de la bourgeoisie, la description de sa<br />
jeunesse nous montre qu’il fut élevé dans un autre espace social, hétérogène, où se<br />
croisent la classe de la petite bourgeoisie populaire (son père avait été, avant de se<br />
retirer à la campagne « aide – chirurgien – major » dans l’armée de Napoléon 1 e ) et<br />
celle du monde paysan, cette origine sociale hétérogène étant symbolisée par le<br />
manque d’unité architecturale de la maison d’habitation acquise :<br />
« Moyennant deux cents francs par an, [Charles-Denis-Bartholomé<br />
Bovary] trouva donc à louer dans un village, sur les confins du pays de Caux et de<br />
la Picardie, une sorte de logis moitié ferme, moitié maison de maître… » 1 . En<br />
somme Charles n’est même pas le paysan dont on veut faire un bourgeois, il n’est ni<br />
l’un ni l’autre. Dès le début du roman il est victime de ce décalage, d’un handicap<br />
qu’il ne pourra jamais compenser : il ne sera jamais ce qu’on voudrait qu’il soit<br />
(illusions et déceptions d’Emma) ni là où il devrait être… et ce jusqu’à l’épisode de<br />
sa mort qui précède de quelques lignes la fin du roman, puisque « la petite Berthe »<br />
lui parle alors qu’il est déjà mort. Nous savons comment Flaubert finira d’assassiner<br />
son personnage, comment il le tuera pour la seconde fois par une syllepse cruelle<br />
lorsqu’il relate l’autopsie du défunt faite par Canivet, à la demande de Homais :<br />
« Trente-six heures après, sur la demande de l’apothicaire, M. Canivet<br />
accourut. Il l’ouvrit et ne trouva rien. » 2 ! ! !…<br />
3. L’EDUCATION DU FILS D’UN AIDE-CHIRURGIEN-MAJOR QUI SE<br />
RETIRE A LA CAMPAGNE<br />
La description que fait le narrateur de l’éducation reçue par Charles éclaire<br />
le lecteur sur ce ‘métissage social’ manqué dont le malheureux sera à jamais<br />
marqué. L’ancien aide-chirurgien-major avait voulu former Charles selon « un<br />
certain idéal viril » quand sa mère, fille d’un marchand bonnetier, le gâtait « comme<br />
un prince » 3 . Alors qu’elle « lui découpait des cartons, lui racontait des histoires,<br />
s’entretenait avec lui dans des monologues sans fin, pleins de gaietés mélancoliques<br />
et de chatteries babillardes » 4 en rêvant pour ce fils « de hautes positions », le père<br />
l’élevait à la spartiate, « l’envoyait se coucher sans feu, lui apprenait à boire de<br />
grands coups de rhum et à insulter les processions » 5 . Tiraillé par les contradictions<br />
parentales, le jeune Charles se réfugiait dans la campagne environnante, « suivait les<br />
laboureurs, et chassait à coups de mottes de terre, les corbeaux qui s’envolaient. Il<br />
mangeait des mûres le long des fossés, gardait les dindons avec une gaule, fanait à<br />
la moisson… etc. »… médiocre compensation !<br />
1 — Mme Bovary – p. 40<br />
2 — ibid. – p. 366<br />
3 - ibid.- p. 41<br />
4 - Id.<br />
5 — Id.<br />
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