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Ville

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L’ONOMASTIQUE TAGUEE, POUR UNE AUTRE APPROCHE…<br />

Le tagueur redécoupe ainsi le paysage en espaces visuels dans un souci<br />

de double communication, vers l’extérieur (être vu par la société et les autres<br />

tagueurs), mais aussi en interne pour les groupes et désorganise les catégories<br />

d’oppositions urbaines que sont le centre, la périphérie, l’espace public,<br />

l’espace privé par le brouillage de ses réseaux et de ses sphères. Et « la<br />

manifestation déviante devient visible, car elle heurte le code, se détourne de<br />

la régulation sociale et franchit les frontières de la décence ». 1 Privatisant<br />

l’espace public avec leur inscription et en redonnant un autre sens aux lieux,<br />

« ils installent un nouveau type de culture urbaine fondée sur une sociabilité<br />

spatiale ». 2 L’espace public 3 et l’espace privé sont alors modifiés puisque des<br />

parties du premier réappropriées deviennent des lieux privés et collectifs. Par<br />

son inscription (spatiovisuelle) le tagueur nous propose différentes<br />

« configurations visuelles » grâce à des stratégies d’exposition et de<br />

multiplication du nom sous divers supports et selon diverses caractéristiques<br />

visuelles (forme, couleur, emplacement) qui sollicitent constamment le<br />

regard tout en décentrant les repères. Il montre du coup l’ambiguïté du statut<br />

public de l’espace, et comme le note Michel Kokoreff à propos des tags :<br />

« Toutes les politiques urbaines convergent de plus en plus vers cette idée « d’habiter<br />

l’espace public » et les tags paraissent plutôt révoltés. Ils sont une manière extrême<br />

d’habiter l’espace public, mais en même temps, ils sont révélateurs de cette demande<br />

publique. Ils répondent à l’angoisse du « trop vide » par l’angoisse du « trop plein ». 4<br />

Les différentes modalités de circulation que favorisent les cheminements<br />

à travers les tags s’apparentent à la déambulation dans les dédales d’un<br />

labyrinthe, un labyrinthe d’écritures aux parcours en apparence fléchés. Dans<br />

le dédale des noms, chaque tag se renvoie d’un lieu à un autre, ce qui permet<br />

de parcourir et de fréquenter divers endroits de la ville en adoptant des<br />

comportements autres pour se déplacer dans l’univers scriptural entre les<br />

rues, les non-lieux, les trajets, les impasses, les culs-de-sac, les ruelles, les<br />

passerelles, les passages souterrains, les couloirs, etc. Ce labyrinthe 5 plus ou<br />

moins complexe peut avoir plusieurs centres constitués par les lieux<br />

d’écritures ou exposition qui sont autant de nœuds, qui gravitent autour et<br />

1 . Alain GAUTHIER, Du visible au visuel anthropologie du regard, Paris, P.U.F, 1996, p.60.<br />

2 . Michel MAFFESOLI Le temps des tribus, Paris, Méridiens, 1988.<br />

3 . Nathalie CANDON, “ Le rôle de l'espace public ” Note bibliographique : Composition<br />

urbaine, Paris, Centre de documentation de l’Urbanisme, 1996. “ L'espace public est de création<br />

récente, sa naissance liée à la notion de démocratie a lieu au début du XIX è siècle. Il se fonde<br />

alors sur une coupure juridique entre le privé et le public. A la suite de l'abandon de l'art urbain,<br />

il a été considéré comme un espace résiduel, “ce qui reste entre les édifices”. C'est là ignorer son<br />

facteur de cohésion sociale ( d'espace dédié à la communauté), et son rôle, majeur, dans<br />

l'ordonnancement des constructions qui constituent l'espace urbain. On peut ajouter à cela son<br />

impact sur l'image, valorisante ou repoussante, de la ville. Il met en scène sobrement l'identité<br />

historique, culturelle ou paysagère. De plus il assume la continuité des constructions, étant un<br />

espace continu, structurant, donc générateur de ville. C'est l'espace à penser en premier (même<br />

s'il demeure virtuel). Il règle, ordonne les espaces qui le constituent. ”<br />

4 . Michel KOKOREFF, “ Tags et Zoulous, une nouvelle violence urbaine ”, Esprit, Février,<br />

1991, p. 248.<br />

5 . Le labyrinthe a une morphologie mouvante. Les murs d’écritures prennent un sens pour les<br />

tagueurs, détagués, ils redeviennent anonymes. Effacés il y a une rupture dans la chaîne, alors<br />

qu’une concentration d’écritures recrée un autre couloir dans le labyrinthe qui se déplace au gré<br />

des fréquentations des lieux.<br />

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