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Le travail psychique de victime: essai de psycho-victimologie

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Un <strong>de</strong>rnier chapitre mérite intérêt par sa nouveauté dans le champ psychiatrique <strong>de</strong><br />

l’époque, celui consacré à ce qu’il qualifie <strong>de</strong> <strong>psycho</strong>logie <strong>de</strong>s survivants, à partir d’observations<br />

médicales et <strong>de</strong> témoignages <strong>de</strong> rescapés, et qui fait état pêle-mêle les réactions immédiates les plus<br />

étonnantes : indifférence apparente tranchant avec le terrifiant et le macabre <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong><br />

catastrophes ; à l’inverse, manifestations <strong>de</strong> gaîté incompréhensibles ; fuites éperdues dans <strong>de</strong>s états<br />

rapportés par l’auteur à <strong>de</strong> la confusion ; perturbation majeure du sens <strong>de</strong> la durée (<strong>de</strong>ux frères<br />

incarcérés pendant 18 jours sous un éboulement et qui en ressortent avec le sentiment <strong>de</strong> n’y avoir<br />

passé que 4 ; insensibilité à <strong>de</strong>s blessures graves ; réactions immédiates que l’on qualifierait<br />

aujourd’hui d’automatiques ; comportements irrationnels (<strong>de</strong> type dissociatifs) comme celui <strong>de</strong> cet<br />

homme qui « … après s’être dégagé <strong>de</strong>s décombres du wagon, courut au télégraphe et télégraphia<br />

aux membres <strong>de</strong> sa famille. Un quatrième enfin, remarquant qu’il avait perdu sa bague dans la<br />

catastrophe, retourna sur les lieux et se mit à sa recherche parmi les décombres » (p. 48). Relevant le<br />

cas d’un homme pris dans l’acci<strong>de</strong>nt ferroviaire <strong>de</strong> Müllheim qui, ayant échappé à la mort <strong>de</strong> peu,<br />

s’extrait <strong>de</strong>s décombres pour y revenir aussitôt participer au secours <strong>de</strong>s survivants, Stierlin<br />

s’interroge : « Est-ce une conduite normale pour quelqu’un qui vient d’échapper à la mort ? »<br />

tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012<br />

Bien que moins riche en <strong>de</strong>scriptions cliniques mais dans une veine similaire, l’on doit à Ch.<br />

Vibert (1905) l’étu<strong>de</strong> détaillée d’un acci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> métropolitain parisien qui, le 11 août 1903, aux gares<br />

<strong>de</strong> Ménilmontant et Couronnes, fit au total, 84 morts. Un incendie qui ne put être maîtrisé à temps<br />

s’étendit rapi<strong>de</strong>ment à toute une rame <strong>de</strong> métro, engendrant une énorme bouffée <strong>de</strong> fumée<br />

brûlante qui envahit les stations souterraines les plus proches qui provoqua chez les passagers<br />

attendant sur les quais une panique d’autant plus gran<strong>de</strong> que la fumée avait créé une obscurité<br />

totale. De nombreux voyageurs moururent ainsi intoxiqués par l’oxy<strong>de</strong> <strong>de</strong> carbone, parmi lesquels 65<br />

furent retrouvés agglutinés les un contre les autres à l’un <strong>de</strong>s bouts du quai d’une <strong>de</strong>s gares, alors<br />

que l’unique sortie se trouvait <strong>de</strong> l’autre côté.<br />

Consacrant un chapitre aux « troubles nerveux occasionnés par l’émotion », Vibert relève qu’à<br />

l’exception d’un seul survivant, les rescapés ne présentaient que <strong>de</strong>s troubles légers, le confirmant<br />

dans sa thèse que l’émotion seule ne saurait être l’unique facteur dans l’étiologie <strong>de</strong> la névrose<br />

traumatique à l’éclosion <strong>de</strong> laquelle est également néc<strong>essai</strong>re, selon lui, le traumatisme physique.<br />

Malgré tout, la <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> ce que les rescapés eurent à endurer atteste là aussi qu’un regard<br />

nouveau est en train <strong>de</strong> naître :<br />

La catastrophe du Métropolitain était assurément <strong>de</strong> nature à occasionner une vive terreur chez tous<br />

ceux qui en ont été <strong>victime</strong>s. Sans même avoir entendu les récits si suggestifs <strong>de</strong>s survivants, il est<br />

assez facile <strong>de</strong> se représenter l’état mental <strong>de</strong>s malheureux voyageurs qui se trouvaient dans la gare<br />

<strong>de</strong>s Couronnes au moment où celle-ci a été envahie par la fumée. Plongés tout à coup dans une<br />

obscurité absolue, respirant une atmosphère d’incendie, au milieu <strong>de</strong>s clameurs d’épouvante, ils<br />

cherchent à tâtons une issue dont ils ne connaissent pas la place, se bousculant les uns les autres, se<br />

heurtant aux bancs renversés, s’embarrassant dans les corps <strong>de</strong> ceux qui sont déjà tombés. 1<br />

1 Ch. Vibert (1905) : La catastrophe du Métropolitain, Annales d’Hygiène publique et <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine légale, série4,<br />

tome III, 1905, No 3, p. 209.<br />

Pignol, Pascal. <strong>Le</strong> <strong>travail</strong> <strong>psychique</strong> <strong>de</strong> <strong>victime</strong> : <strong>essai</strong> <strong>de</strong> <strong>psycho</strong>-<strong>victimologie</strong> - 2011

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