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Le travail psychique de victime: essai de psycho-victimologie

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Introduction<br />

49<br />

La signification que revêt le terme <strong>de</strong> <strong>victime</strong> dans les cultures grecques et latines est<br />

trompeuse, même si elle reste l’une <strong>de</strong>s figures actuelles possibles <strong>de</strong> la victimité<br />

contemporaine. Car sur bien <strong>de</strong>s aspects il y a loin <strong>de</strong> la <strong>victime</strong> sacrificielle <strong>de</strong>s tragédies<br />

antiques à « notre » <strong>victime</strong>, figure <strong>de</strong>venue incontournable <strong>de</strong> notre espace sociétal, que ce<br />

soit dans les domaines juridique politique, social, médical, <strong>psycho</strong>logique…, enjeu et objet <strong>de</strong><br />

réflexions, <strong>de</strong> dispositifs et <strong>de</strong> pratiques multiformes. La <strong>victime</strong> telle que nous la connaissons<br />

ne pouvait s’inventer que dans un certain univers socio-moral pour lequel le fait d’être<br />

injustement spolié ou préjudicié impose en retour un <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> justice et <strong>de</strong> réparation <strong>de</strong> la<br />

part <strong>de</strong> la collectivité, selon un principe <strong>de</strong> solidarité entre ses membres.<br />

L. Crocq, à qui l’on doit plusieurs articles <strong>de</strong> fond sur l’histoire <strong>de</strong>s représentations <strong>de</strong> la<br />

<strong>victime</strong> <strong>de</strong>puis l’antiquité, écrit ainsi :<br />

tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012<br />

En trente siècles, <strong>de</strong>puis les temps <strong>de</strong> la Bible et <strong>de</strong>s premières légen<strong>de</strong>s grecques, la société<br />

est revenue <strong>de</strong> son attitu<strong>de</strong> « sacrificielle » à l’endroit <strong>de</strong> la <strong>victime</strong>. Dans notre société<br />

occi<strong>de</strong>ntale et dans le mon<strong>de</strong> civilisé, la société reconnaît la <strong>victime</strong> en tant que telle, l’écoute,<br />

la soigne, lui manifeste sa compassion, lui apporte son soutien matériel et moral, juridique<br />

même. Elle l’accueille, aménage son retour dans la communauté <strong>de</strong>s vivants, et <strong>de</strong>s vivants<br />

parlants, i<strong>de</strong>ntifiables comme partenaires d’un dialogue. Elle lui accor<strong>de</strong> sympathie, justice et<br />

réparation. 1<br />

Il fallait ainsi que <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>s mutations s’opèrent dans notre regard sur le mon<strong>de</strong> et ses désordres,<br />

que ceux-ci soient le fait <strong>de</strong>s hommes ou <strong>de</strong> la nature, pour que naisse et s’impose cette figure<br />

<strong>de</strong>venue centrale dans notre espace sociétal actuel.<br />

<strong>Le</strong> développement du sentiment compassionnel est souvent mis en avant dans cette<br />

émergence, compassion qui, selon Tocqueville, serait contemporaine <strong>de</strong> la société démocratique, du<br />

fait <strong>de</strong> l’égalité qu’elle instaure entre ses membres. Rousseau avait fait <strong>de</strong> cette sensibilité à l’égard<br />

<strong>de</strong> la souffrance d’autrui, qu’il dénommait la pitié, un « sentiment primitif », une disposition<br />

naturelle formant la matrice à partir <strong>de</strong> laquelle le lien social se constitue (M. Revault d’Allonnes,<br />

2008) ; mais c’est la société démocratique qui, suivant Tocqueville, lui aurait donné la possibilité <strong>de</strong><br />

se développer pleinement. Car il faut pouvoir reconnaître en l’autre notre semblable pour s’i<strong>de</strong>ntifier<br />

à sa peine et faire nôtres ses souffrances. D’où son intime parenté avec la valeur nouvelle <strong>de</strong><br />

citoyenneté promue par la Philosophie <strong>de</strong>s Lumières, puis par le régime républicain s’inventant à<br />

partir <strong>de</strong> 1789 en France.<br />

Nous verrons cependant que faire <strong>de</strong> la compassion le « moteur » profond du souci pour les <strong>victime</strong>s<br />

est loin <strong>de</strong> suffire à rendre compte <strong>de</strong> toutes les dimensions <strong>de</strong> la victimité contemporaine : car si<br />

dans la compassion il y bien i<strong>de</strong>ntification au vécu <strong>de</strong> dommage, encore faut-il que le dommage ait<br />

une existence socialement reconnue et que l’on s’attache à en rechercher <strong>de</strong>s éléments objectivables<br />

qui permettent <strong>de</strong> le « convertir » en préjudices in<strong>de</strong>mnisables. Or les dommages n’ont longtemps<br />

1 L Crocq (2005f), Réflexion sur la <strong>victimologie</strong>.<br />

Pignol, Pascal. <strong>Le</strong> <strong>travail</strong> <strong>psychique</strong> <strong>de</strong> <strong>victime</strong> : <strong>essai</strong> <strong>de</strong> <strong>psycho</strong>-<strong>victimologie</strong> - 2011

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