27.12.2013 Views

Le travail psychique de victime: essai de psycho-victimologie

Le travail psychique de victime: essai de psycho-victimologie

Le travail psychique de victime: essai de psycho-victimologie

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

aient pu vouloir faire ou ne pas faire, l’acci<strong>de</strong>nt se produit avec telle ou telle régularité. La raison<br />

juridique procè<strong>de</strong> d’une vision morale du mon<strong>de</strong> […] L’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’assureur est, au contraire, toute <strong>de</strong><br />

constat : peu importe ce qui serait si…, le fait est qu’il y tant d’acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> <strong>travail</strong> ou <strong>de</strong> la circulation<br />

par an, que quel que soit le souhait que l’on puisse formuler, les chiffres se répètent avec une<br />

accablante régularité […] Ce qui ne veut pas dire que les acci<strong>de</strong>nts soient inévitables, ni qu’ils relèvent<br />

d’une quelconque fatalité, mais que leur perception juridique en termes <strong>de</strong> faute et <strong>de</strong> responsabilité<br />

n’est pas la seule possible et qu’elle n’est peut-être ni la plus pertinente ni la plus efficace. 1<br />

59<br />

Bien plus qu’une solution d’ordre technique, l’assurance promeut <strong>de</strong>s principes venant<br />

concurrencer ceux <strong>de</strong> la raison juridique et apporte une solution d’ensemble d’ordre finalement<br />

politique.<br />

Elle aura son théoricien, Adolphe Quételet (1796-1874), qui y trouvera les fon<strong>de</strong>ments d’une<br />

sociologie fondée sur <strong>de</strong>s principes <strong>de</strong> moyenne arithmétique appliquée à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s phénomènes<br />

sociaux appréhendés, non pas dans leurs causes, mais dans leurs régularités, et donnant lieu à <strong>de</strong>s<br />

notions comme celle <strong>de</strong> l’homme moyen construit sur <strong>de</strong>s normes statistiques.<br />

tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012<br />

Ainsi, la notion juridique <strong>de</strong> responsabilité, dont le fon<strong>de</strong>ment en droit était la faute, se voit<br />

profondément infléchie dans le sens d’une « responsabilité sans faute » :<br />

<strong>Le</strong> mécanisme général <strong>de</strong> l’assurance lui a fourni un modèle abstrait débarrassé d’ancrages locaux ou<br />

corporatistes, fondé sur les calculs actuariels <strong>de</strong>s risques et permettant un traitement financier<br />

rationnel <strong>de</strong> la répartition <strong>de</strong> leur charge. 2<br />

Autant la raison juridique personnalise l’acci<strong>de</strong>nt en en recherchant la cause sous la forme d’une<br />

faute imputable, autant l’assurance la dilue en la rapportant à un fait <strong>de</strong> régularité dans une<br />

population donnée :<br />

Lorsque le législateur prononce une obligation d’assurance, il avoue le mythe <strong>de</strong> la volonté juridique.<br />

La conduite <strong>de</strong> chacun, quand bien même elle aurait toujours été immaculée et irréprochable, révèle<br />

en elle-même et pour les autres un risque sans doute infime, mais qui n’en existe pas moins. 3<br />

Et si, pour l’assurance, le risque est collectif, sa couverture l’est également : « l’opération propre <strong>de</strong><br />

l’assurance est la constitution <strong>de</strong> mutualités, consciente dans les cas <strong>de</strong> mutuelles, inconscientes<br />

dans celui <strong>de</strong>s compagnies à prime. » (F. Ewald, 1986, p. 176)<br />

Une autre caractéristique <strong>de</strong> l’assurance est que ce qui est assuré n’est pas le dommage, comme en<br />

justice, mais un capital, c’est-à-dire une in<strong>de</strong>mnité néc<strong>essai</strong>rement arbitraire par rapport au<br />

préjudice : « l’assurance, la mise en risque du dommage, passe par un dédoublement <strong>de</strong> ce qui est<br />

vécu et <strong>de</strong> ce qui sera in<strong>de</strong>mnisé. » (F. Ewald, 1986, p. 178) L’in<strong>de</strong>mnité est ainsi forfaitaire, fixée par<br />

avance et fonction du capital.<br />

Ainsi l’assurance propose une forme inédite <strong>de</strong> justice puisqu’elle substitue à l’idée <strong>de</strong> cause celle<br />

<strong>de</strong> répartition <strong>de</strong> la charge entre la population <strong>de</strong>s assurés. A la répartition naturelle <strong>de</strong>s biens et<br />

<strong>de</strong>s maux auxquels chacun se prémunissait comme il l’entendait, à la division en causes naturelles,<br />

aléatoires et causes condamnables <strong>de</strong>s dommages, l’assurance offre une voie nouvelle :<br />

1 Ibi<strong>de</strong>m, p.176.<br />

2 Ibi<strong>de</strong>m, p. 176.<br />

3 Ibi<strong>de</strong>m, p. 177.<br />

Pignol, Pascal. <strong>Le</strong> <strong>travail</strong> <strong>psychique</strong> <strong>de</strong> <strong>victime</strong> : <strong>essai</strong> <strong>de</strong> <strong>psycho</strong>-<strong>victimologie</strong> - 2011

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!