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Le travail psychique de victime: essai de psycho-victimologie

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positive selon laquelle par exemple « tout ce qui ne tuerait pas renforcerait », ou qu’« il ne faudrait<br />

jamais abandonner la lutte car la résilience peut toujours survenir », ou encore que « le bonheur est<br />

toujours possible » pour reprendre le tire d’un ouvrage grand public (S. Vanistendael et J. <strong>Le</strong>comte,<br />

2000) ; ou bien que, par exemple, les <strong>victime</strong>s d’inceste ou <strong>de</strong> maltraitance auraient le choix « entre<br />

le passage à l’acte et l’innovation culturelle» (B. Cyrulnik, 2001, p. 172).<br />

<strong>Le</strong>s analyses biographiques <strong>de</strong> « résilients » célèbres ou anonymes s’attachent d’ailleurs à apporter<br />

<strong>de</strong>s illustrations convaincantes à ces principes et sont supposées nous enseigner, par l’exemplarité<br />

<strong>de</strong> leur parcours, qu’il est toujours possible <strong>de</strong> « s’en sortir », malgré tout.<br />

Il y a incontestablement une dimension moraliste dans la résilience, dans cette idéologie valorisant le<br />

potentiel individuel <strong>de</strong> chacun, ses capacités créatives face à l’adversité, se voulant faire pendant aux<br />

conceptions jugées « catastrophistes » et pessimistes du trauma.<br />

tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012<br />

Certains auteurs comme M. <strong>Le</strong>may (2002) ont singulièrement relativisé cette vision quelque<br />

peu idéalisée <strong>de</strong> la résilience en relevant qu’elle avait un coût qui peut dépasser <strong>de</strong> beaucoup les<br />

éventuels gains que l’on peut retirer d’une expérience traumatique, si tant est d’ailleurs que ce coût<br />

et ces gains relèvent d’une même échelle <strong>de</strong>s valeurs, ce dont l’on ne peut que douter. La plus<br />

gran<strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce est donc <strong>de</strong> mise pour qualifier <strong>de</strong> résilient un comportement ou une défense, et<br />

les exemples souvent cités <strong>de</strong> Primo <strong>Le</strong>vi et Bruno Bettelheim, qui tous <strong>de</strong>ux ont mis fin tardivement<br />

à leur vie après avoir semblé offrir <strong>de</strong>s exemples <strong>de</strong> vie résiliente, l’attesteraient.<br />

C’est aussi ce pourquoi, peut-on penser, S. Tomkiewicks nous prévient du risque d’un détournement<br />

idéologique <strong>de</strong> la notion qui consisterait à renvoyer chacun à sa responsabilité personnelle et à<br />

minimiser, voire occulter, les rôles pourtant essentiels du macro-environnement (et ses effets très<br />

concrets sur les souffrances <strong>psychique</strong>s individuelles), <strong>de</strong>s politiques sociales et plus globalement <strong>de</strong><br />

la reconnaissance et <strong>de</strong> la solidarité à l’égard <strong>de</strong>s <strong>victime</strong>s. Au reste pour cet auteur, la résilience<br />

semble bien plus relever d’une éthique professionnelle que d’une capacité individuelle :<br />

« Bienveillance, empathie, recherche systématique <strong>de</strong>s aspects positifs, ai<strong>de</strong> à l’émergence <strong>de</strong>s<br />

capacités latentes, valorisation <strong>de</strong>s ressources individuelles et communautaires…, espoir que <strong>de</strong>s<br />

progrès restent toujours possibles. » 1<br />

<strong>Le</strong> problème est, qu’à cette logique, l’on est n’est pas loin <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir assimiler la résilience à<br />

toutes formes possibles d’adaptation ou <strong>de</strong> survie, qu’elles soient ou non réprouvables par la morale<br />

et la loi ou encore jugeables pathologiques par la <strong>psycho</strong>logie ; la résilience tend ici à se confondre<br />

avec les « pulsions <strong>de</strong> vie », y compris certaines formes <strong>de</strong> répétition, du moment que cela témoigne<br />

encore d’une lutte contre la « pulsion <strong>de</strong> mort ». Car dans cette logique qu’est-ce qui autorise à dire<br />

pathologique un déni prolongé ou plus généralement <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> défenses amoindrissant les<br />

capacités d’adaptation et <strong>de</strong> souplesse <strong>psychique</strong> d’un sujet, s’il n’a eu d’autres ressources que<br />

celles-là et a su mettre à profit les seuls moyens qu’il avait à sa disposition ? Qu’est-ce qu’être non<br />

résilient, sinon mourir ?<br />

1 Tomkiewicz (2001) : Du bon sage <strong>de</strong> la résilience, cité par J. Lighezzolo et C. De Tichey (2004) : La résilience.<br />

Se (re)construire après un traumatisme, Editions In Press, p.139.<br />

Pignol, Pascal. <strong>Le</strong> <strong>travail</strong> <strong>psychique</strong> <strong>de</strong> <strong>victime</strong> : <strong>essai</strong> <strong>de</strong> <strong>psycho</strong>-<strong>victimologie</strong> - 2011

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