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Le travail psychique de victime: essai de psycho-victimologie

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tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012<br />

<strong>Le</strong> chapitre 1, « Eléments pour une anthropologie <strong>de</strong> la victimité », a pour objet <strong>de</strong> montrer<br />

que la <strong>victime</strong>, telle que nous la connaissons aujourd’hui, ne pouvait s’inventer que dans un certain<br />

univers socio-moral pour lequel tout fait <strong>de</strong> dommage impose en retour un <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> justice et <strong>de</strong><br />

réparation <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> la collectivité, selon un principe <strong>de</strong> solidarité entre ses membres. Elle<br />

suppose en outre que ce dommage soit en particulier conçu comme dommage <strong>psycho</strong>logique.<br />

Cette analyse se donnera comme point <strong>de</strong> départ la catastrophe <strong>de</strong> Lisbonne en 1855 et les<br />

retombées profon<strong>de</strong>s qu’elle a eues sur la pensée occi<strong>de</strong>ntale, notamment sur question du mal, en<br />

participant à sa reconfiguration sur <strong>de</strong> touts autres fon<strong>de</strong>ments que la théodicée leibnizienne, qui<br />

faisait jusque là référence pour en expliquer l’existence au sein du mon<strong>de</strong> conçu comme création<br />

divine et supposé, à l’image <strong>de</strong> son créateur, être parfaite.<br />

Un détour par l’histoire <strong>de</strong>s représentations culturelles <strong>de</strong>s catastrophes nous montrera en effet que,<br />

jusqu’à Lisbonne, celles-ci étaient essentiellement appréhendées comme <strong>de</strong>s fléaux que Dieu<br />

envoyait aux hommes en sanction <strong>de</strong> leurs péchés, les invitant à la ré<strong>de</strong>mption.<br />

A cet ordre divin se substituera pour un temps celui <strong>de</strong> la nature, dont la catastrophe <strong>de</strong> Lisbonne<br />

représente, pour J.-J. Rousseau notamment, l’exemple même : si celle-ci n’a pas d’intentions, qu’elles<br />

soient bonnes ou mauvaises, il revient à l’homme d’en respecter les lois et <strong>de</strong> se protéger contre ses<br />

dérèglements. La nature et ses lois se substitueront ainsi à l’ordre moral divin dans un mouvement<br />

<strong>de</strong> laïcisation <strong>de</strong> la théodicée.<br />

<strong>Le</strong> mal s’en trouvera alors redéfini comme malheur et se fera essentiellement acci<strong>de</strong>nt, dont, dans le<br />

cadre <strong>de</strong> la société libérale, il appartiendra à chacun <strong>de</strong> se prémunir par sa prévoyance et, à celui qui<br />

s’y trouve confronté <strong>de</strong> l’assumer comme la contrepartie inéluctable <strong>de</strong> sa liberté individuelle.<br />

Nous verrons ensuite, à partir d’une catégorie nouvelle d’acci<strong>de</strong>nts, ceux liés au progrès industriel et<br />

dont les <strong>de</strong>ux formes les plus marquantes pour l’époque sont les acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> chemin <strong>de</strong> fer et les<br />

acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> <strong>travail</strong>, la question <strong>de</strong>venir sociale et concerner, en termes <strong>de</strong> responsabilité,<br />

l’ensemble <strong>de</strong> la collectivité. Au terme <strong>de</strong> longs débats qui occuperont la secon<strong>de</strong> moitié du 19 ième<br />

siècle, cette forme d’acci<strong>de</strong>nt donnera lieu à l’invention d’un principe novateur, celui <strong>de</strong><br />

la responsabilité sans faute. Empruntant au modèle assuranciel ce principe, elle proposera une<br />

forme inédite <strong>de</strong> justice selon laquelle la recherche <strong>de</strong> faute cè<strong>de</strong> le pas au principe d’une<br />

responsabilité collective et d’une répartition <strong>de</strong> la charge <strong>de</strong>s dommages sur l’ensemble <strong>de</strong> la<br />

collectivité. L’acci<strong>de</strong>nt supposera alors <strong>de</strong>ux choses : la prédiction statistique <strong>de</strong> sa survenue<br />

engendrant le développement <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> risque, et le développement <strong>de</strong> politiques <strong>de</strong><br />

prévention dont la visée asymptotique est celle du risque zéro. Nous verrons alors que c’est la<br />

généralisation <strong>de</strong> ces principes nouveaux, et leur application à un nombre <strong>de</strong> domaines toujours plus<br />

nombreux, qui sont à l’origine <strong>de</strong> la « socialisation <strong>de</strong>s risques » et <strong>de</strong> l’ « Etat provi<strong>de</strong>nce ».<br />

<strong>Le</strong> champ pénal représentera un autre espace <strong>de</strong> formation <strong>de</strong> la victimité et nous en étudierons<br />

l’émergence à partir <strong>de</strong> l’histoire du viol telle que l’a retracée notamment par G. Vigarello.<br />

Car ici ce n’est pas un <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> solidarité avec l’idée nouvelle <strong>de</strong> responsabilité sans faute qui se<br />

trouvera en jeu, mais la reconnaissance et la réparation <strong>de</strong> préjudices occasionnés par <strong>de</strong>s actes<br />

fautifs et juridiquement condamnables. Or la sanction <strong>de</strong>s délits a longtemps pris le pas sur toute<br />

Pignol, Pascal. <strong>Le</strong> <strong>travail</strong> <strong>psychique</strong> <strong>de</strong> <strong>victime</strong> : <strong>essai</strong> <strong>de</strong> <strong>psycho</strong>-<strong>victimologie</strong> - 2011

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