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Le travail psychique de victime: essai de psycho-victimologie

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changer selon nos caprices, que la nature doit être soumise à nos lois, et que, pour lui interdire un<br />

tremblement <strong>de</strong> terre en quelque lieu, nous n’avons qu’à y bâtir une ville ? 1<br />

54<br />

S’il serait sans doute très exagéré d’y voir les prémisses <strong>de</strong> nos mo<strong>de</strong>rnes politiques d’urbanisme et<br />

d’aménagement du territoire, ou encore <strong>de</strong> prévention <strong>de</strong>s risques naturels, il n’empêche que l’on<br />

trouve chez Rousseau les éléments d’une réflexion sur les modalités dont l’homme habite le mon<strong>de</strong><br />

et un premier souci d’anticipation <strong>de</strong>s dangers auxquels il s’expose à ne pas, au moins, tenter <strong>de</strong> se<br />

prémunir, sinon <strong>de</strong> la Nature, du moins <strong>de</strong> son insouciance.<br />

Sans quitter votre sujet <strong>de</strong> Lisbonne, convenez, par exemple, que la nature n’avait point rassemblé là<br />

vingt mille maisons <strong>de</strong> sis à sept étages et que si les habitants <strong>de</strong> cette gran<strong>de</strong> ville eussent été<br />

dispersés plus également, et plus légèrement logés, le dégât eut été beaucoup moindre, et peut-être<br />

nul. Tous eussent fui au premier ébranlement, et on les eût vus le len<strong>de</strong>main à vingt lieues <strong>de</strong> là, tout<br />

aussi gais que s’il n’était rien arrivé. 2<br />

tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012<br />

Kosselleck évoque à ce propos un changement dans le rapport <strong>de</strong> l’homme au temps : jusqu’au<br />

milieu du 16 ième siècle l’histoire est celle <strong>de</strong>s attentes, attente <strong>de</strong> la fin du mon<strong>de</strong> sur le modèle du<br />

Déluge notamment. Cette perception se modifie progressivement et au lieu <strong>de</strong> prophétiser l’advenue<br />

<strong>de</strong> ce qui est déjà écrit, l’imminence répétée <strong>de</strong> la fin du mon<strong>de</strong> telle qu’elle a déjà eu lieu, il s’agit <strong>de</strong><br />

prévoir l’avenir pour en modifier l’orientation par le progrès et la nouveauté. Et Walter d’ajouter :<br />

Avec la profanisation, l’homme est seul, sans le secours <strong>de</strong> la Provi<strong>de</strong>nce et face à son histoire. Il s’est<br />

arrogé l’immense tâche <strong>de</strong> contribuer à l’éradication <strong>de</strong>s calamités dont il prétend maîtriser le<br />

processus et édulcorer la fatalité. 3<br />

<strong>Le</strong> séisme n’a pas que détruit la capitale portugaise : un ordre du mon<strong>de</strong> s’en est trouvé<br />

également ébranlé, celui fondé sur la Provi<strong>de</strong>nce divine et tel que la Théodicée s’était efforcée <strong>de</strong> le<br />

penser dans son caractère paradoxal. S’il n’a bien évi<strong>de</strong>mment pas suffi à lui seul à engendrer une<br />

telle révolution (la philosophie <strong>de</strong>s Lumières en constitua préalablement une étape essentielle), son<br />

écho a été suffisamment fort pour qu’il fasse symboliquement date.<br />

La fin <strong>de</strong> la théodicée inaugure un autre univers <strong>de</strong> significations pour lequel les événements qui<br />

affectent l’homme, qu’ils soient heureux ou malheureux, s’inscrivent dans une nouvelle<br />

représentation du mon<strong>de</strong> fondée sur l’idée <strong>de</strong> lois naturelles qui, en elles-mêmes, ne sont porteuses<br />

d’aucune intention. La nature, à la différence <strong>de</strong> Dieu, n’exprime aucun message à l’adresse <strong>de</strong><br />

l’homme, n’a aucune volonté à son égard : ni bienveillante, ni malveillante ; elle suit en quelque sorte<br />

son bonhomme <strong>de</strong> chemin, sa logique propre, qui n’a que faire <strong>de</strong> ceux qui « l’habitent ». C’est à eux<br />

<strong>de</strong> se prémunir contre ses désordres s’ils en sont dérangés et mécontents. <strong>Le</strong> « mal naturel ou<br />

« physique » ne ressortit pas au « mal moral ».<br />

Mais il faudra une longue et lente évolution pour qu’un autre ordre s’y substitue, sur <strong>de</strong>s<br />

prémices sensiblement différentes, que les 19 ième et 20 ième siècles vont s’attacher à élaborer et<br />

formuler dans les domaines les plus divers. Car si la fin <strong>de</strong> la théodicée représente une rupture<br />

1 F. Walter, p. 120-121.<br />

2 J.-J. Rousseau : <strong>Le</strong>ttre sur la Provi<strong>de</strong>nce, in <strong>Le</strong>ttres philosophiques, cité par Dupuy, p. 41-42.<br />

3 F. Walter, p. 131.<br />

Pignol, Pascal. <strong>Le</strong> <strong>travail</strong> <strong>psychique</strong> <strong>de</strong> <strong>victime</strong> : <strong>essai</strong> <strong>de</strong> <strong>psycho</strong>-<strong>victimologie</strong> - 2011

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