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Le travail psychique de victime: essai de psycho-victimologie

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Pourquoi et comment la dépression s’est-elle imposée comme notre principal malheur intime ? Dans<br />

quelle meure est-elle révélatrice <strong>de</strong>s mutations <strong>de</strong> l’individualité à la fin du 20 ième siècle ? 1 .<br />

93<br />

Sa réponse est qu’elle une maladie <strong>de</strong> la responsabilité :<br />

La dépression amorce sa réussite au moment où le modèle disciplinaire <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong>s conduites, les<br />

règles d’autorité et <strong>de</strong> conformité aux interdits qui assignent aux classes sociales comme aux <strong>de</strong>ux<br />

sexes un <strong>de</strong>stin ont cédé <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s normes qui incitent chacun à l’initiative individuelle en<br />

l’enjoignant à <strong>de</strong>venir lui-même. Conséquence <strong>de</strong> cette nouvelle normativité, la responsabilité entière<br />

<strong>de</strong> nos vies se loge non seulement en chacun <strong>de</strong> nous, mais également dans l’entre-nous collectif. 2<br />

P. Bruckner ne dit pas à sa manière autre chose lorsqu’il relève :<br />

Comment ne pas voir en effet que la victoire <strong>de</strong> l’individu sur la société est une victoire ambiguë et<br />

que les libertés accordées au premier –libertés d’opinion, <strong>de</strong> conscience, <strong>de</strong> choix, d’action- sont un<br />

ca<strong>de</strong>au empoisonné et la contrepartie d’un terrible comman<strong>de</strong>ment : c’est à chacun désormais qu’est<br />

dévolue la tâche <strong>de</strong> se construire et <strong>de</strong> trouver un sens à son existence… 3<br />

tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012<br />

Ce n’est alors plus, selon A. Ehrenberg, « l’autorisé et l’interdit » qui dictent nos conduites, mais<br />

« le possible et l’impossible » dans une normativité non « plus fondée sur la culpabilité et l’interdit,<br />

mais sur la responsabilité et l’initiative ». (p.16) C’est ce pourquoi <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> souffrance<br />

<strong>psychique</strong> s’est progressivement substituée celle <strong>de</strong> souffrance morale car elle correspond au primat<br />

accordé à l’intériorité comme lieu topique <strong>de</strong> son origine.<br />

Mais il fallait aussi, pour qu’elle prenne la signification qu’on lui accor<strong>de</strong> aujourd’hui, qu’elle ne<br />

tienne aussi à la réintégration dans la subjectivité <strong>de</strong>s facteurs externes, ou, autrement dit, <strong>de</strong>s<br />

effets sur le sujet <strong>de</strong> la « précarité du mon<strong>de</strong> », c’est-à-dire <strong>de</strong> tout ce qui fait obstacle à cette<br />

réalisation obligée <strong>de</strong> soi :<br />

Parler <strong>de</strong> souffrance <strong>psychique</strong> revient alors à inscrire dans le langage l’incorporation subjective <strong>de</strong>s<br />

inégalités sociales objectives. Ce qui permet à D. Fassin une exégèse éclairante : « lorsque le<br />

psychiatre, le <strong>psycho</strong>logue, l’éducateur ou l’assistant social, désignent comme souffrance <strong>psychique</strong> les<br />

symptômes ou les sentiments qu’exprime une personne, ils produisent un effet social qui implique<br />

l’individu concerné mais aussi au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> lui la condition qui est la sienne. La tristesse, l’acte agressif ou<br />

la consommation <strong>de</strong> drogues, se trouvent interprétés dans un langage qui lie le social et le <strong>psychique</strong>. »<br />

Comment se fait-il qu’une souffrance en rapport avec la condition sociale soit qualifiée <strong>de</strong><br />

« <strong>psychique</strong> » alors qu’elle correspond assez exactement à « la souffrance d’origine sociale » décrite<br />

par Freud dans malaise dans la civilisation ?... Tout se passe comme si, à notre époque, cette<br />

souffrance d’origine sociale, ordinairement déniée, réapparaissait maintenant en force sur le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

l’affect douloureux. 4<br />

Tout se passe effectivement comme si s’opérait une réincorporation <strong>de</strong> la dimension sociale que le<br />

primat quasi exclusif accordé dans un premier temps par la <strong>psycho</strong>logie au sujet et à la subjectivité,<br />

avait occulté comme dimension constitutive <strong>de</strong> l’être. Nous sommes désormais également en<br />

souffrance <strong>de</strong> ne pouvoir advenir à la réalisation <strong>de</strong> nous-mêmes pour autrui.<br />

1 Ibid., p. 9.<br />

2 Ibid., p. 10-11.<br />

3 P Bruckner (1995) : La tentation <strong>de</strong> l’innocence, Grasset, Paris, p. 33.<br />

4 J. Furtos (2001) : Précarité du mon<strong>de</strong> et souffrance <strong>psychique</strong>, Rhizome, N° 5, p. 3.<br />

Pignol, Pascal. <strong>Le</strong> <strong>travail</strong> <strong>psychique</strong> <strong>de</strong> <strong>victime</strong> : <strong>essai</strong> <strong>de</strong> <strong>psycho</strong>-<strong>victimologie</strong> - 2011

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