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Le travail psychique de victime: essai de psycho-victimologie

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tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012<br />

Mais que peut bien alors être une <strong>victime</strong> pour le psy ? En quoi et comment peut-t-elle<br />

concerner sa discipline ?<br />

Ni concept, ni entité clinique, elle ouvre à un domaine qui ne lui est ordinairement pas familier et<br />

auquel il peut éprouver certain malaise à se mêler, celui <strong>de</strong>s pratiques sociales et judiciaires, id est<br />

<strong>de</strong>s pratiques normées. L’on est avec les <strong>victime</strong>s jamais loin <strong>de</strong> questions <strong>de</strong> morale positive, <strong>de</strong><br />

bien, <strong>de</strong> mal, <strong>de</strong> juste, d’injuste, <strong>de</strong> préjudice, <strong>de</strong> reconnaissance, <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> réparation,<br />

d’évaluation quantitative <strong>de</strong> la souffrance…, autant d’enjeux qui semblent appeler à un certain parti<br />

pris « dans le réel », lieu où il est supposé ne jamais <strong>de</strong>voir se rendre car la réalité <strong>psychique</strong> est et<br />

doit rester son strict domaine d’exercice, selon une position <strong>de</strong> principe majoritairement admise.<br />

<strong>Le</strong> concept <strong>de</strong> trauma, peut-on pourtant croire, a semblé jusqu’à un certain point offrir une certaine<br />

légitimité en situant, comme il le fait, l’approche psy <strong>de</strong>s <strong>victime</strong>s du côté <strong>de</strong>s retombées <strong>psychique</strong>s<br />

possibles d’une victimisation en termes <strong>de</strong> pathologie réactionnelle par exemple, s’il n’était luimême<br />

surdéterminé et faisait l’objet <strong>de</strong> définitions relevant <strong>de</strong> théories du psychisme aussi<br />

irréductibles les unes aux autres que l’après-coup et l’effraction du pare-excitation, pour s’en tenir à<br />

la doxa freudienne ; objet <strong>de</strong> querelles comme celle aux échos toujours actuels qui opposa S.<br />

Ferenczi au mon<strong>de</strong> psychanalytique <strong>de</strong> son temps, le trauma n’est homogène ni dans ses approches<br />

théoriques ni dans les pratiques qu’il inspire, même s’il a joué, et continue <strong>de</strong> le faire chez <strong>de</strong><br />

nombreux auteurs, un rôle <strong>de</strong> pont entre le socio-juridique et le <strong>psychique</strong>, venant justifier<br />

l’intervention psy par le risque ultérieur d’apparition (ou bien l’existence déjà avérée) d’un trouble<br />

ressortissant <strong>de</strong> son domaine d’activité et <strong>de</strong> réflexion.<br />

La pratique clinique auprès <strong>de</strong>s adultes est particulièrement traversée par <strong>de</strong> tels<br />

antagonismes. Ainsi les principes fondateurs <strong>de</strong> la <strong>psycho</strong>traumatologie mo<strong>de</strong>rne (interventions<br />

d’urgence sur les lieux mêmes du désordre sans attendre la « <strong>de</strong>man<strong>de</strong> », offres spécialisées,<br />

invitation à une verbalisation précoce centrée sur l’événement…) font-ils tous, par certains<br />

praticiens, l’objet d’appréciations critiques qui les dénoncent comme un « <strong>de</strong>voir tout dire », un non<br />

respect du néc<strong>essai</strong>re temps d’élaboration <strong>de</strong> la <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, ou <strong>de</strong> faire courir le risque d’ancrer chez<br />

les <strong>victime</strong>s l’illusion qu’il existe une réponse déjà là à leur détresse, etc. ; <strong>de</strong> shunter l’inconscient,<br />

en quelque sorte. L’on peut ainsi lire, au titre d’exemple parmi beaucoup d’autres, concernant la<br />

pratique du débriefing « à la française », pourtant jugée par l’auteur moins intrusive que la métho<strong>de</strong><br />

anglo-saxonne, que : « Cependant, il est recommandé <strong>de</strong> poser <strong>de</strong> nombreuses questions, ce qui<br />

perpétue le versant intrusif, sadique et voyeuriste » 1 .<br />

Quant à l’éventuelle implication du psy aux modalités sociales <strong>de</strong> réparation, elle peut être estimée<br />

interférer négativement avec le <strong>travail</strong> <strong>psychique</strong>. Prenons les récents propos suivants, développés à<br />

partir <strong>de</strong> l’expérience d’un dispositif d’ai<strong>de</strong> <strong>psycho</strong>logique à <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> <strong>victime</strong>s <strong>de</strong> l’explosion <strong>de</strong><br />

l’usine AZF <strong>de</strong> Toulouse, comme les symptômes exemplaires d’un tel malaise :<br />

<strong>Le</strong>s démarches en vue d’un dédommagement peuvent, par exemple, interférer avec la question <strong>de</strong> la<br />

<strong>de</strong>tte et <strong>de</strong> la culpabilité, culpabilité que S. Freud considère non pas comme contingente, mais comme<br />

résultat direct du processus d’humanisation. […] Une forte suggestion, voire un véritable forçage vers<br />

une démarche d’in<strong>de</strong>mnisation peut avoir pour effet <strong>de</strong> rabattre la problématique <strong>psycho</strong>logique<br />

1 S. Behaghel (2010) : Trauma et narcissisme, PUF <strong>Le</strong> mon<strong>de</strong>, p. 152.<br />

Pignol, Pascal. <strong>Le</strong> <strong>travail</strong> <strong>psychique</strong> <strong>de</strong> <strong>victime</strong> : <strong>essai</strong> <strong>de</strong> <strong>psycho</strong>-<strong>victimologie</strong> - 2011

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