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Le travail psychique de victime: essai de psycho-victimologie

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Voilà donc une maladie nouvelle, bien définie, que le Dictionnaire <strong>de</strong> l’Académie pourra, quand celle-ci<br />

en sera à la lettre S, enregistrer sous le nom <strong>de</strong> « sinistrose ». 1<br />

164<br />

Mais c’est un court article datant <strong>de</strong> 1908 paru dans le Concours Médical qui en a popularisé l’usage,<br />

suivi en 1909 d’un bref texte complémentaire. Bien que son inventeur ne lui ait consacrée que<br />

quelques pages, cette notion a été reprise par <strong>de</strong> nombreux praticiens et elle connaîtra une secon<strong>de</strong><br />

vague d’intérêt avec la naissance <strong>de</strong> la psychiatrie coloniale dans les années 1950.<br />

Son créateur, E. Brissaud (1852-1909), est un ancien élève <strong>de</strong> Charcot, mé<strong>de</strong>cin <strong>de</strong>s hôpitaux et<br />

professeur à la Faculté <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong> Paris.<br />

La sinistrose se veut décrire un état mental particulier, dont la nature pathologique ne faisait<br />

pour Brissaud pas <strong>de</strong> doute, survenant chez certaines personnes <strong>victime</strong>s d’un acci<strong>de</strong>nt. Son point <strong>de</strong><br />

départ est un constat présenté comme indiscutable :<br />

tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012<br />

Dans tous les pays qui in<strong>de</strong>mnisent les acci<strong>de</strong>nts du <strong>travail</strong>, les blessures « assurées » exigent pour<br />

guérir un temps beaucoup plus long que les blessures « non assurées ». A ce fait brutal, incontestable<br />

et incontesté, se ramène et se réduit toute la question <strong>de</strong> la sinistrose. 2<br />

Mais contrairement à la conception la plus en vigueur à l’époque, et sans pour autant nier l’existence<br />

<strong>de</strong> tels cas, ça n’est pas vers la simulation qu’il oriente ses hypothèses, mais vers celle d’un état<br />

morbi<strong>de</strong> particulier qu’il baptise précisément du nom <strong>de</strong> sinistrose, consistant en « une inhibition<br />

très spéciale <strong>de</strong> la volonté » :<br />

Nous répétons que la sinistrose, incomparablement plus fréquente, est une maladie authentique et il<br />

est regrettable que certains mé<strong>de</strong>cins <strong>de</strong> compagnies d’assurances l’aient tantôt assimilée à un<br />

hystéro-traumatisme par trop complaisant, tantôt confondue systématiquement avec la simulation. 3<br />

Cette inhibition particulière <strong>de</strong> la volonté qui empêcherait le blessé, bien que guéri, <strong>de</strong> reprendre le<br />

<strong>travail</strong>, tiendrait à un malentendu ou plutôt à une erreur commise <strong>de</strong> bonne foi quant aux dommages<br />

et intérêts et réparations auxquels il est persuadé avoir légalement droit du fait <strong>de</strong> la récente loi <strong>de</strong><br />

1898 sur les acci<strong>de</strong>nts du <strong>travail</strong> :<br />

Ils ne conçoivent pas que la blessure une fois guérie aucune compensation pécuniaire ne leur soit<br />

accordée en <strong>de</strong>hors du <strong>de</strong>mi-salaire <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> d’incapacité. Des <strong>de</strong>ux principes sur lesquels repose<br />

la loi, ils semblent ne reconnaître que le premier, celui du risque professionnel qui met à la charge du<br />

patron l’in<strong>de</strong>mnisation <strong>de</strong> l’ouvrier ; et ils n’admettent que dans la mesure qui leur convient le second<br />

principe, celle <strong>de</strong> l’in<strong>de</strong>mnisation transactionnelle et forfaitaire, calculée d’après la réduction <strong>de</strong><br />

salaire qu’entraîne définitivement la blessure, et qui est fixée à la moitié du salaire. Ils méconnaissent<br />

le sens du mot consolidation, tel que l’a précisé la jurispru<strong>de</strong>nce, mais ils savent que la date <strong>de</strong><br />

consolidation marque la cessation du paiement du <strong>de</strong>mi-salaire. 4<br />

1 La chronique médicale, Revue bimensuelle <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine historique, littéraire et anecdotique, 1908, No 5, p. 46.<br />

2 E. Brissaud (1908) : La sinistrose, Concours médical, p. 114.<br />

3 Ibi<strong>de</strong>m, p. 114.<br />

4 Ibi<strong>de</strong>m, p. 114.<br />

Pignol, Pascal. <strong>Le</strong> <strong>travail</strong> <strong>psychique</strong> <strong>de</strong> <strong>victime</strong> : <strong>essai</strong> <strong>de</strong> <strong>psycho</strong>-<strong>victimologie</strong> - 2011

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