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Le travail psychique de victime: essai de psycho-victimologie

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excellence : l’avenir. Je sais, chez l’esclave du ressentiment, le sens du temps est distordu, si l’on veut,<br />

puisqu’il réclame ce qui est doublement impossible : le retour en arrière dans un temps écoulé et<br />

l’annulation <strong>de</strong> ce qui a eu lieu […] Ce que cet albatros (André Neher prônant l’élévation) nous<br />

conseille à nous, persécutés, c’est d’intérioriser notre souffrance passée et <strong>de</strong> l’intérioriser dans une<br />

ascèse affective <strong>de</strong> la même manière que les tortionnaires le feront <strong>de</strong> leur culpabilité. Avouons-le<br />

sans détour, je n’en ai ni l’envie, ni le talent, ni la conviction. Il m’est impossible d’accepte un<br />

parallélisme qui me ferait longer la même route que cet homme qui me fustigeait <strong>de</strong> son nerf <strong>de</strong><br />

bœuf. Je ne veux pas <strong>de</strong>venir le complice <strong>de</strong>s mes bourreaux. J’exige au contraire qu’ils se nient euxmêmes<br />

et me rejoignent dans cette négation. 1<br />

Et ajoute-t-il « il ne s’agit pas <strong>de</strong> vengeance, pas plus que d’expiation », car « l’expérience <strong>de</strong> la<br />

persécution était celle d’une extrême solitu<strong>de</strong> » (p. 153) et « celui qui a été soumis à la torture est<br />

désormais incapable <strong>de</strong> se sentir chez soi dans le mon<strong>de</strong> » (p. 95)<br />

tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012<br />

Cependant, les auteurs qui s’y sont intéressés se sont tous attachés à le dégager <strong>de</strong> ses<br />

connotations religieuses et morales pour tenter <strong>de</strong> le faire accé<strong>de</strong>r à la dimension d’un processus ou<br />

plus exactement d’un <strong>travail</strong> intérieur singulier auquel, même s’il ne prend pas toujours la forme<br />

usuelle <strong>de</strong> ce que l’on entend par pardon, tout victimé se trouve à un moment ou à un autre<br />

confronté. C’est même, pour un auteur comme M. Vaillant (2001), l’aboutissement d’un processus<br />

<strong>de</strong> dégagement, terme d’un cheminement et d’une maturation intérieurs qui, dans la configuration<br />

particulière dans laquelle elle l’étudie, -celle du pardon accordé aux enfants à leurs parents-, semble<br />

permettre d’accé<strong>de</strong>r à une pleine libération, non seulement du victimé, mais aussi <strong>de</strong> ses propres<br />

enfants. L’auteur se défend certes d’en faire une obligation, ne cesse d’en affirmer le caractère <strong>de</strong><br />

choix strictement personnel, il n’empêche, tout concourt à en faire la forme la plus aboutie et<br />

libératrice d’un passé non dépassé, y compris pour les générations futures.<br />

M. Delage (2004), dans un article dont le titre situe on ne peut plus clairement la perspective dans<br />

laquelle il se situe, <strong>Le</strong> pardon est-il une notion utile en <strong>psycho</strong>thérapie ? , le définit-il comme une<br />

forme <strong>de</strong> don échappant aux règles communes <strong>de</strong> la réciprocité dans la mesure où, quand bien<br />

même il se joue dans la relation, il ne procè<strong>de</strong> ni d’une amnistie, ni d’une excuse accordée à un<br />

auteur, ni d’un oubli ; il apparaît bien plus comme une « fermeture à l’échange » tant il n’est pas un<br />

don appelant un à un contredon, ou encore invitation à la restauration d’une relation au sein <strong>de</strong><br />

laquelle il solliciterait l’expression d’un repentir, ou équivalent, <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> celui à qui il semble<br />

s’adresser : il est a priori « gratuit ». De même M. Vaillant en souligne la nature parfois secrète et non<br />

formulée, ainsi que le fait qu’il puisse s’adresser, avec <strong>de</strong> semblables effets d’apaisement, à <strong>de</strong>s<br />

personnes disparues.<br />

Son enjeu semble donc essentiellement intérieur et il s’y agit avant toute chose pour une<br />

<strong>victime</strong> « d’abandonner ses ressentiments ou sa haine à l’égard l’auteur, sachant qu’elle n’a guère<br />

que trois voies pour y parvenir : celle <strong>de</strong> la vengeance, celle <strong>de</strong> l’introjection dans une i<strong>de</strong>ntification à<br />

l’agresseur, et enfin celle du pardon. Défini alors comme un « <strong>travail</strong> <strong>psychique</strong> particulier et<br />

complexe », souvent long à se mettre en place », susceptible d’être souvent remis sur le chantier (M.<br />

1 J. Améry (1995) : Par-<strong>de</strong>là le crime et le châtiment. Essai pour surmonter l’insurmontable, Actes Sud, p. 150-<br />

151<br />

Pignol, Pascal. <strong>Le</strong> <strong>travail</strong> <strong>psychique</strong> <strong>de</strong> <strong>victime</strong> : <strong>essai</strong> <strong>de</strong> <strong>psycho</strong>-<strong>victimologie</strong> - 2011

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