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Le travail psychique de victime: essai de psycho-victimologie

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le matériel, avec force, précisément à ce qui a été relâché par l'effondrement <strong>de</strong>s barrières et <strong>de</strong>s<br />

structures internes. En créant <strong>de</strong>s liens avec ce qui existe déjà, en joignant ce qui fait irruption à un<br />

trait ou à une fonction existante du psychisme, le moi tente <strong>de</strong> créer une fois <strong>de</strong> plus <strong>de</strong>s structures<br />

permanentes dans lesquelles son fonctionnement est possible. 1<br />

Il faudrait ainsi ajouter à cette définition son envers et soutenir que ce qui fait trauma (ou plutôt<br />

syndrome <strong>psycho</strong>traumatique), c’est la résistance à une pénétration, et non uniquement la<br />

pénétration elle-même 2 ; ou encore, que c’est sur le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’effraction que cette résistance tente<br />

<strong>de</strong> se constituer. Au reste, l’effraction est une image qui se soutient d’une certaine représentation <strong>de</strong><br />

l’appareil <strong>psychique</strong> comme vésicule, dont la dimension métaphorique a été signalée par Freud,<br />

probablement dans une assimilation non consciente du psychisme à ce que l’on supposait en être le<br />

lieu principal, le cerveau, et son anatomie : comme lui, le psychisme serait, un corps entouré<br />

d’enveloppes protectrices.<br />

tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012<br />

L’homme s’y découvre fini, au sens <strong>de</strong> la finitu<strong>de</strong> : il y découvre une limite inhérente à sa<br />

condition. Cette finitu<strong>de</strong> n’est pas, sinon par métaphore, la mort, mais la découverte dans l’effroi ou<br />

la panique d’avoir franchi sa propre limite, d’être passé sans s’en rendre compte dans une sorte d’au<strong>de</strong>là<br />

<strong>de</strong> sa condition, d’un autre côté dont il ne soupçonnait pas même l’existence. La conscience <strong>de</strong><br />

cette limite ne naît pas <strong>de</strong> la rencontre d’un mur, d’une frontière, d’un quelconque point <strong>de</strong> butée,<br />

mais <strong>de</strong> son au-<strong>de</strong>là, <strong>de</strong>s effets <strong>de</strong> son franchissement. La limite survient dans l’après-coup d’avoir<br />

été passée et elle rési<strong>de</strong> non dans la perte <strong>de</strong> son illusion d’immortalité, mais dans suspension<br />

toujours possible et irrémédiable <strong>de</strong> tout projet. Peut-être serait-il plus juste <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> vacuité <strong>de</strong><br />

tout projet en tant qu’il engage l’avenir. C’est la possibilité d’advenir, <strong>de</strong> se projeter qui est<br />

outrepassée, et la limite en cause est celle inhérente à tout projet <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>, au sens<br />

phénoménologique. Tout projet est pari, pari sur soi, le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s valeurs... ; d’où la tentation<br />

létale, tentation <strong>de</strong> s’abandonner à l’absence <strong>de</strong> projet. Il n’est pas fortuit que V. Frankl (1959) ait<br />

conçu, dans le prolongement <strong>de</strong> son expérience concentrationnaire, les « névroses noogènes »,<br />

provenant <strong>de</strong> « l’absence <strong>de</strong> raison <strong>de</strong> vivre » (1959, p. 101).<br />

La limite en cause n’est pas néant mais au contraire trop-plein <strong>de</strong> l’expérience <strong>de</strong> dérobement ou <strong>de</strong><br />

déchirement du mon<strong>de</strong> ou, plus exactement, <strong>de</strong> notre impuissance à pouvoir encore le soutenir et le<br />

maintenir dans son intégrité et sa cohérence ; et, à l’opposé d’un vécu <strong>de</strong> perte, il en résulte la<br />

conscience douloureuse <strong>de</strong> ce qui n’est plus et ne sera plus jamais à travers les ruines qu’il a laissées.<br />

L’on ne rencontre ainsi jamais le trauma mais ses retombées. Mais encore faut-il un cadre<br />

particulier pour prêter à un certain type d’événement un tel pouvoir disruptif. « Parler trauma »<br />

(comme on parle boutique) c’est déjà être dans un registre institutionnel <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong>s troubles,<br />

postuler un trauma c’est initier une possible reconstruction : c’est une politique et à ce titre cela a<br />

<strong>de</strong>s effets, <strong>de</strong> même que récuser le pouvoir traumatique, en soi et pour soi, d’un événement en a<br />

d’autres.<br />

1 C. Garland (2001) : Comprendre le traumatisme, Editions du Hublot, Larmor Plage, p. 29.<br />

2 Déjà, une fracture osseuse ne procè<strong>de</strong> pas d’un autre mécanisme : il n’y a fracture que parce que l’os a<br />

résisté… jusqu’à son point <strong>de</strong> rupture. S’il n’avait pas résisté, que serait-il advenu ? : il se serait désagrégé.<br />

Pignol, Pascal. <strong>Le</strong> <strong>travail</strong> <strong>psychique</strong> <strong>de</strong> <strong>victime</strong> : <strong>essai</strong> <strong>de</strong> <strong>psycho</strong>-<strong>victimologie</strong> - 2011

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