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Le travail psychique de victime: essai de psycho-victimologie

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<strong>de</strong> la « figure du sujet humain », dont notre individualité mo<strong>de</strong>rne est l’aboutissement. Son<br />

émergence est contemporaine <strong>de</strong> l’affirmation du principe <strong>de</strong> la liberté individuelle comme nouveau<br />

fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> la citoyenneté et <strong>de</strong> l’affranchissement qu’elle exige du poids <strong>de</strong>s contraintes<br />

collectives qui caractérisaient l’ordre ancien. Paradoxalement, alors même qu’elle semblait pouvoir<br />

dégager l’homme <strong>de</strong> ses anciennes oppressions, elle engendre une autre forme d’aliénation :<br />

Cette image <strong>de</strong> la souveraineté du <strong>de</strong>dans correspond historiquement à une phase <strong>de</strong> compromis :<br />

pour s’insérer dans le <strong>travail</strong> <strong>de</strong> contestation <strong>de</strong> l’ordre imposé du <strong>de</strong>ssus, elle n’en suppose pas moins<br />

secrètement l’appui <strong>de</strong> cette obligation d’appartenance que par ailleurs elle contribue à ébranler. De<br />

sorte que l’advenue <strong>de</strong>s individus émancipés se traduit en profon<strong>de</strong>ur par la ruine <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong><br />

la possession <strong>de</strong> soi. L’homme délié <strong>de</strong> l’assujettissement au collectif est l’homme qui va <strong>de</strong>voir se<br />

découvrir intérieurement asservi. 1<br />

tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012<br />

Ainsi la folie, qui apparaissait jusqu’alors comme une forme radicale, extrême, <strong>de</strong> l’altérité, réintègret-elle<br />

l’homme comme une possibilité inhérente à sa nature même. D’où la « découverte <strong>de</strong><br />

l’inconscient » (avec <strong>de</strong> multiples variantes terminologiques) que l’on trouve au cœur <strong>de</strong> cette<br />

nouvelle modalité <strong>de</strong> penser l’homme, inconscient venant dire une intériorité fondamentalement<br />

divisée, qui ne peut que s’échapper à elle-même. La liberté individuelle fondée sur la conscience et la<br />

volonté, à peine affirmée au fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> la société nouvelle, se découvre un adversaire d’autant<br />

plus redoutable qu’il restera par définition à jamais inconnu. Bien avant la psychanalyse, ce<br />

paradigme s’est formé à partir <strong>de</strong>s connaissances scientifiques nouvelles relatives aux origines <strong>de</strong><br />

l’homme, à son organisation somatique et aux lois réglant son activité (M. Gauchet, 1992). La<br />

<strong>psycho</strong>pathologie naissante y a également contribué à partir <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s névroses, sur les bases<br />

d’abord <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s phénomènes hypnotiques et somnambuliques (H. F. Ellenberger, 1994).<br />

<strong>Le</strong>s sciences humaines pouvaient dès lors prendre la place laissée gran<strong>de</strong>ment vacante par<br />

les sciences morales. De là tenons-nous en gran<strong>de</strong> partie notre fascination collective pour la<br />

« réalité » <strong>psychique</strong> :<br />

Au lieu d’une âme inséparable <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> péché, une nouvelle catégorie désigne le <strong>de</strong>dans <strong>de</strong> la<br />

personne : l’esprit, la psyché, le mental, bref, l’intériorité cachée, dissimulée, mais manifestant son<br />

existence par <strong>de</strong>s signes multiples, Sacrée comme l’âme, c’est un tabou pour les mo<strong>de</strong>rnes qui ne<br />

peuvent la manipuler sans risque. L’intériorité est une fiction qu’ils ont fabriquée pour dire ce qui se<br />

passe à l’intérieur <strong>de</strong> nous. Mais cette fiction est aussi une vérité : nous y croyons comme d’autres<br />

croient en la métem<strong>psycho</strong>se ou au pouvoir magique <strong>de</strong>s ancêtres. 2<br />

S’ouvrait ainsi l’histoire du sujet et <strong>de</strong> la subjectivité, dont l’exploration détaillée débor<strong>de</strong>rait très<br />

largement notre propos.<br />

Venons-en immédiatement à ce qui apparaît comme l’une <strong>de</strong>s conséquences récentes <strong>de</strong> ce<br />

primat accordé au sujet, et qu’Ehrenberg a dénommé « la fatigue d’être soi ». Il s’interroge :<br />

1 M. Gauchet (1992) : L’inconscient cérébral, p. 13-14.<br />

2 A. Ehrenberg (1998) : La fatigue d’être soi. Dépression et société, Odile Jacob, Paris, p. 17-18.<br />

Pignol, Pascal. <strong>Le</strong> <strong>travail</strong> <strong>psychique</strong> <strong>de</strong> <strong>victime</strong> : <strong>essai</strong> <strong>de</strong> <strong>psycho</strong>-<strong>victimologie</strong> - 2011

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