27.12.2013 Views

Le travail psychique de victime: essai de psycho-victimologie

Le travail psychique de victime: essai de psycho-victimologie

Le travail psychique de victime: essai de psycho-victimologie

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

347<br />

D. Scotto di Vettimo quant à elle, évoque son expérience comme étant fondamentalement<br />

paradoxale, car elle « permet à la fois <strong>de</strong> se maintenir comme sujet » et « à la fois ramène celui qui la<br />

subit à une impossibilité <strong>de</strong> la refouler » (p. 29). Elle ajoute :<br />

D’un point <strong>de</strong> vue génétique, l’histoire <strong>de</strong> l’apparition <strong>de</strong> la honte se décompose en <strong>de</strong>ux temps : le<br />

temps du traumatisme serait vécu sans que n’apparaisse <strong>de</strong> vécu <strong>de</strong> honte. <strong>Le</strong> modèle classique d’un<br />

tel vécu est l’événement traumatique en tant que tel ; l’apparition <strong>de</strong> la honte surviendrait dans<br />

l’après-coup, lorsque –dans la pénombre <strong>psychique</strong>- le sujet se remémore les faits. Tout se passe<br />

comme si, tourné vers lui-même et ressassant la situation traumatique, il essayait <strong>de</strong> l’inscrire dans<br />

son expérience <strong>psychique</strong>. Enfermé dans <strong>de</strong>s images -déjà morbi<strong>de</strong>s- qui dévoilent le spectre du futur<br />

trauma, le sujet est réduit au silence, au vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la pensée et à un étrange sentiment <strong>de</strong> paralysie<br />

interne. Face à cette réalité ressentie <strong>de</strong> plus en plus insupportable, l’apparition <strong>de</strong> la honte dans<br />

l’après-coup marque une tentative conjointe <strong>de</strong> penser le trauma et <strong>de</strong> continuer à s’éprouver comme<br />

sujet… Or, c’est précisément dans cette dynamique d’apparition <strong>de</strong> la honte qu’il est capital d’y<br />

comprendre la tentative du sujet d’une réappropriation <strong>de</strong> sa subjectivité. 1<br />

tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012<br />

Dans ce second temps, la honte permet au sujet <strong>de</strong> se ressentir honteux, d’où une « honte <strong>de</strong> la<br />

honte ».<br />

Quant à Ciccone et Ferrand, ils font la même observation : « La honte signe un rejet hors <strong>de</strong> la<br />

communauté mais elle est aussi, en contrepoint, ce qui permet <strong>de</strong> renouer le lien intersubjectif » (p.<br />

72).<br />

C’est ce que S. Amati avait déjà relevé au long du processus thérapeutique avec <strong>de</strong>s sujets torturés :<br />

Je considère que les sentiments <strong>de</strong> honte sont un autre signal <strong>de</strong> la résistance que le moi oppose à la<br />

corruption qu’on a voulu lui imposer […] Dans ces processus <strong>psycho</strong>thérapeutiques, les sentiments <strong>de</strong><br />

honte apparaissent quand le patient est en train <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> sa symbiose avec le mon<strong>de</strong><br />

concentrationnaire qui l’a occupé, au moment où le patient récupère le sentiment <strong>de</strong> pouvoir choisir<br />

son propre comportement et se rendre à l’évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s aspects <strong>de</strong> sa propre passivité, d’avoir accepté<br />

ce qu’il ne voulait pas. 2<br />

Et elle poursuit :<br />

Dans <strong>de</strong>s processus thérapeutiques <strong>de</strong> longue durée, j’ai perçu l’existence <strong>de</strong> « paliers » dans<br />

l’élaboration <strong>de</strong> la honte, comme si, progressivement, certains sentiments <strong>de</strong> honte intolérable<br />

laissaient place à d’autres sentiments <strong>de</strong> honte intolérables. A mesure que chaque expérience est<br />

élaborée et située dans son contexte particulier, on voit surgir d’autres niveaux <strong>de</strong> l’expérience<br />

pénible que l’on a essayé <strong>de</strong> refouler. <strong>Le</strong>s « paliers <strong>de</strong> la honte » sont propres à chaque patient et<br />

dépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la structure <strong>de</strong> sa personnalité et <strong>de</strong> sa hiérarchie <strong>de</strong> valeurs propres. <strong>Le</strong>s sentiments <strong>de</strong><br />

honte qui surgissent en premier sont ceux qui sont liés à la « perte <strong>de</strong> la face », à la perte <strong>de</strong> l’image<br />

qu’on s’est donnée <strong>de</strong> soi-même dans le contexte social naturel : par la suite se dévoile la honte<br />

<strong>de</strong>vant les situations honteuses pour lesquelles le Moi <strong>de</strong> la <strong>victime</strong> n’avait pas d’anticipation ou<br />

prévision possible. 3<br />

On le constate, toutes ces propositions soulèvent un même problème : celui <strong>de</strong> rendre<br />

compte <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux dimensions, honte tragique et honte ré<strong>de</strong>mptrice, honte éprouvée et honte non<br />

1 Scotto Di Vettimo, op cit,, p. 171.<br />

2 Silvia Amati (1989) : Récupérer la honte, In J. Puget, R. Kaës et coll., Violence d’état et psychanalyse, Paris,<br />

Dunod, p. 118.<br />

3 S. Amati , op. cit., p. 120-121.<br />

Pignol, Pascal. <strong>Le</strong> <strong>travail</strong> <strong>psychique</strong> <strong>de</strong> <strong>victime</strong> : <strong>essai</strong> <strong>de</strong> <strong>psycho</strong>-<strong>victimologie</strong> - 2011

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!