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Le travail psychique de victime: essai de psycho-victimologie

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emblématiques <strong>de</strong> l’époque, c’est semble-t-il « toute l’Europe lettrée qui a disserté sur Lisbonne » (F.<br />

Walter, 2008, p. 119).<br />

Parce qu’il exprime avec force les interrogations <strong>de</strong> son époque, l’histoire a surtout retenu <strong>de</strong><br />

Voltaire son poème paru en 1856, Poème sur la <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> Lisbonne, où, dans une attaque<br />

frontale <strong>de</strong> la théodicée leibnizienne, il met en cause l’injustice d’un Dieu pouvant ainsi frapper sans<br />

raison <strong>de</strong>s innocents :<br />

Aux cris <strong>de</strong>mi-formés <strong>de</strong> leurs voix expirantes,<br />

Au spectacle effrayant <strong>de</strong> leurs cendres fumantes,<br />

Diriez-vous : « C’est l’effet <strong>de</strong>s éternelles lois<br />

Qui d’un Dieu libre et bon nécessitent le choix ? »<br />

Diriez-vous en voyant cet amas <strong>de</strong> <strong>victime</strong>s :<br />

« Dieu s’est vengé c’est le prix <strong>de</strong> leurs crimes » ?<br />

Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants<br />

Sur le sein maternel écrasés et sanglants ? 1<br />

tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012<br />

Mais c’est semble-t-il pour n’y substituer aucune raison ou tentative d’explication : le mal n’a aucun<br />

sens sinon celui qu’on lui accor<strong>de</strong> et c’est avec cela que doit composer l’homme, avec les souffrances<br />

que ce non-sens fait naître en lui. Avec Voltaire c’est une forme <strong>de</strong> fonctionnalisme <strong>de</strong> l’existence du<br />

mal qui est rejetée, cette lecture <strong>de</strong> l’histoire qui justifie les événements par ce à quoi ils conduisent,<br />

et que, dans la célèbre tira<strong>de</strong> <strong>de</strong> Pangloss à Candi<strong>de</strong>, il s’amuse à caricaturer :<br />

Tous les événements sont enchaînés dans le meilleur <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s possibles : car enfin si vous n’aviez<br />

pas été chassé d’un beau château à grands coups <strong>de</strong> pied dans le <strong>de</strong>rrière pour l’amour <strong>de</strong><br />

ma<strong>de</strong>moiselle Cunégon<strong>de</strong>, si vous n’aviez pas été mis à l’Inquisition, si vous n’aviez pas couru<br />

l’Amérique à pied, si vous n’aviez pas donné un bon coup d’épée au baron, si vous n’aviez pas perdu<br />

tous vos moutons au bon pays d’Eldorado, vous ne mangeriez pas ici <strong>de</strong>s cédrats confits et <strong>de</strong>s<br />

pistaches.<br />

Rousseau répondit par une lettre dans laquelle il développa une longue réflexion sur<br />

l’irresponsabilité <strong>de</strong>s hommes, <strong>Le</strong>ttre à Monsieur <strong>de</strong> Voltaire du 18 août 1756, et publiée l’année<br />

suivante, à laquelle Voltaire répondit indirectement dans Candi<strong>de</strong> (Dupuy, 2005).<br />

Quels arguments oppose-t-il à Voltaire ? Il impute à l’homme non seulement le mal moral mais aussi<br />

l’essentiel du mal physique qui ne tient, hormis la mort, qu’à son agitation et son imprévoyance. Car<br />

si le mal physique ressortit à l’ordre naturel du mon<strong>de</strong>, il appartient à l’homme <strong>de</strong> s’en prémunir, en<br />

cessant d’abord <strong>de</strong> croire qu’il est l’innocente <strong>victime</strong> <strong>de</strong> ses caprices. Ce qui suggère à F. Walter le<br />

commentaire suivant :<br />

L’intuition rousseauiste constitue assurément une rupture dans la perception du risque. Elle nous<br />

projette dans une pério<strong>de</strong> nouvelle, non pas en déplaçant unilatéralement vers l’humain la recherche<br />

<strong>de</strong>s éléments d’explication du mal quel qu’il soit, mais en mettant en évi<strong>de</strong>nce les interactions qui<br />

enserrent nature et société. Ce n’est plus Dieu qui punit, mais c’est la frénésie <strong>de</strong>s interventions<br />

humaines dans le mon<strong>de</strong>, qui <strong>de</strong>vient contre-productive lorsqu’elle met en péril <strong>de</strong>s équilibres<br />

naturels. « Je ne vois pas, écrit le philosophe, qu’on puisse chercher la source du mal moral ailleurs<br />

que dans l’homme libre, perfectionné, partant corrompu », alors que le mal physique est inhérent à la<br />

création. L’homme n’y a prise, à moins <strong>de</strong> prétendre, explique Rousseau, « que l’ordre du mon<strong>de</strong> doit<br />

1 Cité par Dupuy (2005) : Petite métaphysique <strong>de</strong>s tsunamis, Seuil, Paris p. 50.<br />

Pignol, Pascal. <strong>Le</strong> <strong>travail</strong> <strong>psychique</strong> <strong>de</strong> <strong>victime</strong> : <strong>essai</strong> <strong>de</strong> <strong>psycho</strong>-<strong>victimologie</strong> - 2011

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