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Le travail psychique de victime: essai de psycho-victimologie

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<strong>de</strong> celle-ci), et en creux <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> l’auteur, en un moment où les auto-reproches prenaient un<br />

tour <strong>de</strong> plus en plus envahissant et semblaient progressivement la paralyser.<br />

Elle offre un exemple caractéristique d’une proposition d’étayage d’un vécu envahissant <strong>de</strong><br />

responsabilité par l’axe <strong>de</strong>s valeurs, ici par l’introduction d’un coût à ce qu’elle estime être sa<br />

participation aux faits : cela revenait, en lui prescrivant une amen<strong>de</strong>, à déplacer la question et<br />

la redéfinir en termes <strong>de</strong> préjudice et d’in<strong>de</strong>mnisation. Dans le même mouvement <strong>de</strong><br />

déplacement, ce <strong>travail</strong> d’évaluation du coût <strong>de</strong> sa supposée responsabilité est resitué, inscrit<br />

dans un autre système normatif, celui <strong>de</strong>s infractions au co<strong>de</strong> <strong>de</strong> la route et à l’autorité<br />

supposée en être le garant, la police. L’effet visé en est <strong>de</strong> lui proposer une échelle<br />

d’évaluation <strong>de</strong> ce qui est par ailleurs se donne comme un prix à payer.<br />

Elle rapportera à l’entretien suivant avec un petit sourire qu’elle n’a pas suivi le conseil car son<br />

mari n’était pas d’accord ! Ceci laisse à penser que l’intervention a eu l’effet espéré <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong>r à<br />

se départir <strong>de</strong> ses auto-reproches envahissants.<br />

tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012<br />

Elle se présente néanmoins au cinquième entretien dans un état d’effondrement<br />

similaire à celui <strong>de</strong> la première rencontre, auquel s’ajoute une violente colère et un sentiment<br />

« <strong>de</strong> honte <strong>de</strong> ce que je peux ressentir…». En pleurs, elle relate qu’elle a été informée <strong>de</strong> la<br />

décision du procureur <strong>de</strong> traiter l’affaire en médiation pénale, et qu’on lui a <strong>de</strong>mandé<br />

« d’évaluer son préjudice » pour la semaine suivante. L’espoir d’un jugement et d’une<br />

condamnation a disparu, « …même toute petite, pour qu’on l’ait entendue, que ce soit<br />

reconnu et qu’on lui signifie qu’il n’avait pas le droit… ».<br />

Outre un sentiment d’injustice partageable, l’on peut également comprendre <strong>de</strong> sa réaction<br />

qu’elle s’est trouvée renvoyée massivement à sa propre responsabilité.<br />

Elle a appris <strong>de</strong> plus que l’auteur était un « récidiviste ». Etant littéralement ulcérée par cette<br />

décision, elle a pu entre-temps prendre conseil et trouver un avocat, car elle est décidée à tout<br />

faire pour la contester. Une attestation <strong>de</strong> suivi détaillant les troubles qu’elle a présentés est<br />

rédigée à sa <strong>de</strong>man<strong>de</strong>. L’entretien tournera essentiellement autour du caractère peu<br />

compréhensible et choquant <strong>de</strong> cette décision, au regard notamment <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong> l’ITT<br />

initiale.<br />

La rencontre suivante la voit plus apaisée dans la mesure où elle pense avoir fait tout<br />

ce qu’il était en son pouvoir <strong>de</strong> faire. Reste à en attendre les résultats. Revenant sur sa<br />

désillusion, elle ajoute, presque en passant, qu’elle est <strong>de</strong> plus extrêmement déçue par ses<br />

parents dont elle attendait qu’ils fêtent son anniversaire par une soirée au restaurant, ce qu’ils<br />

n’ont pas fait.<br />

Cette ouverture sur <strong>de</strong>s aspects plus personnels, mais suivant un thème sous-jacent commun,<br />

celui semble-t-il <strong>de</strong> l’injustice, inspire la remarque suivante au praticien : « Je sais bien que la<br />

décision du procureur a été un coup très dur, mais vous y avez réagi vraiment fortement. Estce<br />

que, par hasard, vous n’auriez pas déjà été <strong>victime</strong> d’injustices par le passé ? » Sa première<br />

réaction est la surprise et le rejet <strong>de</strong> cette hypothèse. Mais peu à peu elle évoque son statut<br />

d’enfant adoptée, son sentiment d’infériorité vis-à-vis <strong>de</strong> ses frères et sœurs malgré un<br />

traitement parfaitement égalitaire <strong>de</strong> tous les enfants et, au contraire dit-elle, un grand sens<br />

<strong>de</strong>s valeurs et une gran<strong>de</strong> rigueur morale <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> ses parents adoptifs. Elle en donne un<br />

exemple (c’est ainsi qu’elle qualifie ce qui suit) qui l’a beaucoup marquée et auquel elle a<br />

longtemps repensé avec douleur et humiliation : au collège, elle fut un jour giflée par un<br />

enseignant <strong>de</strong>vant toute sa classe. Bouleversée, elle a relaté l’événement à ses parents qui,<br />

ayant apparemment <strong>de</strong>s doutes, ne sont pas intervenus auprès du collège. M’assurant que<br />

cette gifle avait été absolument réelle, elle ajoute qu’il leur faut quasiment <strong>de</strong>s preuves pour<br />

qu’ils admettent certaines choses qu’ils ont du mal à concevoir et à accepter. Elle en donne<br />

plusieurs autres exemples, dont certains récents. Il lui est fait remarquer que si la gifle a bien<br />

été réelle, leur réaction a dû être très difficile à vivre puisque cela revenait à ne pas du tout<br />

croire en sa parole.<br />

Pignol, Pascal. <strong>Le</strong> <strong>travail</strong> <strong>psychique</strong> <strong>de</strong> <strong>victime</strong> : <strong>essai</strong> <strong>de</strong> <strong>psycho</strong>-<strong>victimologie</strong> - 2011

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