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Le travail psychique de victime: essai de psycho-victimologie

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tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012<br />

cette nuit-là, elle ne fréquente plus le groupe et c’est par son compagnon qui n’a pas rompu les<br />

liens avec celui-ci, qu’elle en a connaissance. Ce qu’elle apprend au fil <strong>de</strong>s jours est que le<br />

garçon qui l’a agressée est littéralement « mortifié » : il semble bouleversé par ce qu’il a fait,<br />

semble très déprimé et culpabilisé au point qu’il aurait changé d’orientation dans ses étu<strong>de</strong>s<br />

(sic). <strong>Le</strong> groupe est au début divisé entre les filles qui trouvent inacceptable la conduite du<br />

garçon et les garçons qui au fil <strong>de</strong>s jours ten<strong>de</strong>nt à minimiser les faits. Elle entend ainsi <strong>de</strong> la<br />

bouche <strong>de</strong> son compagnon que l’on commence à trouver dans le groupe qu’elle pourrait peutêtre<br />

« tourner la page » et « passer l’éponge », qu’il s’en veut beaucoup et qu’il est « peut-être<br />

déjà suffisamment puni comme ça », « qu’il a assez payé »… Un doute s’est insinué en elle dont<br />

elle prend conscience à mesure qu’elle évoque en entretien tous ces aspects. Elle comprend<br />

que le groupe ne veut pas éclater pour « cette histoire » et qu’il est en train <strong>de</strong> se reformer<br />

contre elle, son compagnon ne voulant pas, quant à lui, quitter son groupe d’amis ; il ne parlant<br />

plus au garçon agresseur mais accepte <strong>de</strong> passer <strong>de</strong>s soirées en sa présence. Elle finira par<br />

comprendre qu’elle est dans une sorte <strong>de</strong> double lien. Soit elle dépose plainte et se « respecte<br />

comme personne » car elle continue <strong>de</strong> trouver inacceptable l’acte et la manière dont il a été<br />

commis, et elle trouve <strong>de</strong> plus anormal que le garçon se soit au fond puni lui-même et ce<br />

faisant sans la reconnaitre comme <strong>victime</strong>, mais elle perd l’estime du groupe ; soit elle ne<br />

dépose pas plainte, reste dans le groupe, mais se « renie comme <strong>victime</strong> » : « <strong>victime</strong> » du fait<br />

<strong>de</strong> l’acte subi, « auteur » parce qu’en écart aux normes <strong>de</strong> solidarité du groupe, elle ne<br />

parvient pas à se déterminer.<br />

<strong>Le</strong>s stratégies <strong>de</strong> l’agresseur ne sont pas les seules pouvant être à l’origine <strong>de</strong> tels<br />

phénomènes <strong>de</strong> «sur-victimisation » et <strong>de</strong> victimisations secondaires, et ce peut également la<br />

rencontre obligée avec les multiples dispositifs médicaux, sociaux, juridiques, thérapeutiques,<br />

assuranciels, etc., impliqués dans les suites d’une victimisation, avec leur iatrogénie propre, qui<br />

soient à l’origine <strong>de</strong> phénomènes <strong>de</strong> redoublement <strong>de</strong>s effets délétères <strong>de</strong> l’impact <strong>de</strong> l’événement<br />

et/ou <strong>de</strong> créations <strong>de</strong> nouvelles expériences problématiques (pour ne pas dire comme C. Barrois,<br />

traumatiques).<br />

Il y aurait à élaborer toute une série <strong>de</strong> schémas, conçus à partir <strong>de</strong>s mêmes enjeux, analysant<br />

comment un dispositif d’ai<strong>de</strong> aux victimés et ses acteurs peuvent engendrer <strong>de</strong> tels effets<br />

confusionants. L’on pense en particulier à <strong>de</strong>s modalités <strong>de</strong> prise en charge <strong>psycho</strong>thérapique telles<br />

que celles décrites par L. <strong>de</strong> Urtubey qui réduisent l’événement à un après-coup et ne lui accor<strong>de</strong>nt<br />

pas plus d’importance que tout autre événement. Dans la même perspective, l’on peut penser que la<br />

consigne <strong>de</strong> libre association puisse avoir, avec <strong>de</strong>s patients victimés ou <strong>psycho</strong>traumatisés, un effet<br />

déstructurant puisque, <strong>de</strong> fait, elle risque <strong>de</strong> littéralement diluer l’événement dans la chaîne<br />

associative où il n’a alors essentiellement <strong>de</strong> sens qu’à en évoquer d’autres.<br />

Quant à l’absence <strong>de</strong> référence explicite à la Loi en cas d’évocation d’actes répréhensibles subis par<br />

le sujet, y compris chez un adulte, l’on conçoit qu’elle aille dans le sens d’un renforcement d’une<br />

véritable « confusion <strong>de</strong> langues » entre le victimé et le praticien qui, implicitement, participe alors à<br />

tout le moins d’un désaveu. L’on trouve chez M. Hurni et G. Stoll une relecture particulièrement<br />

démonstrative, d’une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> cas présentée Masud Khan d’une jeune femme dont l’on comprend<br />

qu’elle a été <strong>victime</strong> d’inceste (M Hurni, G. Stoll, 1996, p. 107-112). A l’opposé, concernant l’usage <strong>de</strong><br />

la Loi dans le cadre <strong>de</strong> prises en charges d’enfants et d’adolescents victimisés, l’on se référera à<br />

l’incontournable ouvrage <strong>de</strong> M. Nisse et P. Sabourin (2004), Quand la famille marche sur la tête.<br />

Pignol, Pascal. <strong>Le</strong> <strong>travail</strong> <strong>psychique</strong> <strong>de</strong> <strong>victime</strong> : <strong>essai</strong> <strong>de</strong> <strong>psycho</strong>-<strong>victimologie</strong> - 2011

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