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Le travail psychique de victime: essai de psycho-victimologie

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obéissent à un même processus d’arrêt sur image, sur posture, sur son 1 , sur goût, sur cénesthésie...<br />

Ainsi Ferenczi avait-il été particulièrement sensible au fait que les manifestations corporelles<br />

« hystérique », qu’il rapportait d’ailleurs à une « contrainte <strong>de</strong> répétition », étaient une conservation<br />

<strong>de</strong> l’attitu<strong>de</strong> dans laquelle se tenait le soldat au moment du traumatisme. Il écrivait :<br />

Demandons par exemple à cet homme qui présente une contracture du côté gauche <strong>de</strong> son corps<br />

comment il est tombé mala<strong>de</strong> ; il nous raconte qu’un obus a explosé à sa gauche et que le souffle l’a<br />

atteint à gauche… L’autre qui serre l’épaule contre son flan et tient le cou<strong>de</strong> fixé à angle aigu conserve<br />

également la position qu’il avait au moment <strong>de</strong> l’explosion : il était allongé pour épauler et il <strong>de</strong>vait<br />

pour cela serrer le bras contre ses côtés et plier le cou<strong>de</strong> à angle aigu. 2<br />

Un exemple en est également donné par L. Crocq d’un officier qui présentait « un sursaut <strong>de</strong> l’épaule<br />

droite, répété plusieurs centaines <strong>de</strong> fois par jour ». C’est sous subnarcose amphétaminée qu’est<br />

retrouvé le souvenir à l’origine <strong>de</strong> ce « tic », qui répétait le geste qu’il effectuait pour tuer à l’arme<br />

blanche les sentinelles ennemies (L. Crocq, 1999, p. 104, cas n°10).<br />

tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012<br />

Exemple n° 24<br />

C’est une femme d’une trentaine d’années. Elle vient à la consultation en grand désarroi<br />

dont elle relate l’origine, en l’occurrence un événement en apparence bénin qui l’a<br />

profondément choquée. Sa <strong>de</strong>man<strong>de</strong> est <strong>de</strong> savoir si sa réaction est normale ou non.<br />

De quoi s’agit-il ? Elle était en séjour chez ses parents avec son mari et sa fille. Un soir, au<br />

moment du coucher, elle voit son père s’enfermer quelques instants dans la salle <strong>de</strong> bain avec<br />

sa fille et ressortir en pyjama, alors qu’il y était entré habillé avec ses vêtements <strong>de</strong> la journée.<br />

Elle est saisie d’un mélange d’angoisse et <strong>de</strong> colère, dit violemment à son père <strong>de</strong> ne plus<br />

recommencer ; celui-ci répond d’un ton fâché qu’il ne voit pas où est le mal <strong>de</strong> s’occuper <strong>de</strong> sa<br />

petite fille en l’aidant à se laver les <strong>de</strong>nts. Elle reste pendant plusieurs semaines bouleversée<br />

par la scène et par l’intensité <strong>de</strong> sa réaction, et évite <strong>de</strong>puis tout contact avec ses parents. Son<br />

conjoint la soutient, trouvant le comportement du grand-père sans doute « un peu limite »<br />

mais il ne semble pas saisir l’ampleur que les choses ont prise pour son épouse.<br />

L’on <strong>de</strong>vine aisément la suite <strong>de</strong> l’entretien : à la question sur les possibles motifs <strong>de</strong> la<br />

violence <strong>de</strong> sa réaction, elle répond qu’elle sait parfaitement pourquoi. Ce qui l’a choquée est<br />

que son père, pour se mettre en pyjama, s’est déshabillé <strong>de</strong>vant sa fille et qu’elle l’a par<br />

conséquent vue nu. Et elle relate un épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> son enfance dont elle doute à la fois <strong>de</strong> la<br />

réalité tant il lui semble inconcevable, mais qu’elle dit avoir toujours en en mémoire <strong>de</strong>puis<br />

qu’il s’est déroulé : un soir où sa mère s’était absentée pour son <strong>travail</strong>, son père l’avait<br />

emmenée dans la chambre d’amis et, <strong>de</strong> ce qui s’y est passé, elle conserve une série d’images<br />

d’attouchements sexuels réciproques, <strong>de</strong> mots que lui a dits son père, <strong>de</strong> sa paralysie physique<br />

et <strong>psychique</strong> qui l’ont faite agir « comme un automate ou une poupée ». Certaines scènes sont<br />

précises à l’extrême, mais elle n’a aucun souvenir du déroulement <strong>de</strong> la soirée dans son entier.<br />

Elle ne sait notamment pas s’il y a eu ou non pénétration.<br />

Elle n’avait jamais parlé <strong>de</strong> cela à personne, et tout laisse à penser que l’image <strong>de</strong> son père nu<br />

<strong>de</strong>vant sa fille a eu un effet <strong>de</strong> révélateur <strong>de</strong> la scène <strong>de</strong> son abus. <strong>Le</strong>s images qu’elle en avait<br />

conservées ont alors pu trouver un début <strong>de</strong> signification, celle d’un abus, dont elle peut dès<br />

lors commencer <strong>de</strong> parler.<br />

1 L. Crocq, dans ses enseignements oraux, donne souvent en exemple le témoignage filmé d’un vétéran imitant<br />

avec un réalisme terrifiant, 20 ans après la guerre, dans un état manifeste <strong>de</strong> reviviscence, le son très particulier<br />

que faisaient les lance-flammes quand on les actionnait. Exemple frappant, non d’une image, mais d’un son<br />

traumatique.<br />

2 S. Ferenczi (1916) : Deux types <strong>de</strong> névroses <strong>de</strong> guerre, Psychanalyse II, p. 240<br />

Pignol, Pascal. <strong>Le</strong> <strong>travail</strong> <strong>psychique</strong> <strong>de</strong> <strong>victime</strong> : <strong>essai</strong> <strong>de</strong> <strong>psycho</strong>-<strong>victimologie</strong> - 2011

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