tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

LOUIS PIÉRARD 99
N'en doutez pas : il apercevait alors de monumentales charretées
de foin arrivant au marché dans la gloire flamboyante
d'une matinée de juin.
Tout Lemonnier est dans cette anecdote. Un homme
comme Max Elskamp est bien différent de lui. Son âme
est toute en nuances ; mais l'empire qu'il exerce sur ceux
qui l'approchent n'en est pas moins fort. Cet homme infiniment
artiste, dont l'intelligence a bu à toutes les sources
de la Connaissance et de la Beauté, qui a trouvé dans
la morale boudhique une réponse à nombre de ses aspirations,
c'est par la bonté, la simple douceur de ses paroles
et de ses regards qu'il conquiert. Qu'on m'excuse d'insister
ainsi sur l'exquise qualité d'âme que révèle à ses familiers
le poète qui doit être étudié ici. Mais il nous est agréable
de prouver ainsi, qu'en dépit de la suffisance, de la mufflerie
et du puffisme triomphants, il est encore parmi les
écrivains de notre temps, des hommes qui se peuvent juger
d'un autre point de vue que celui des « brillantes facultés
», des hommes qui ne sont pas tout en cerveau et n'ont
pas le cœur absolument desséché. Sans compter que l'œuvre
de Max Elskamp est le reflet fidèle de cette sensibilité
qu'avant tout il convenait de caractériser au seuil de cette
étude.
L'homme et sa ville.
Elskamp est né à Anvers, le 5 mai 1862. Il n'a guère
quitté sa ville que pour de courtes randonnées en France,
en Hollande, en Italie, des bordées dans la Mer du Nord
ou l'Escaut inférieur. Sa famille est d'origine Scandinave;
son nom déjà suffit à le montrer. A la fin du XVIII e siècle,
la famille s'est scindée en trois branches : l'une alla
s'établir sur le Rhin, une autre en Hollande ; la troisième,
avec le grand-père du poète, vint se fixer à Anvers. Ce
grand-père, fils d'un homme du peuple fruste et illettré
arriva « dans les bagages » d'un prince de Salm. La
curieuse physionomie de cet authentique self made man
revit encore dans le souvenir de quelques vieux Anversois.