tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

154 LE DRAME ET L'OPÉRA
été comprises, ses idées réformatrices de la scène, de la salle ont
été adoptées en beaucoup .d'endroits, les acteurs et les chanteurs
ont perdu ces fâcheuses traditions italiennes, les orchestres se sont
assouplis. Parsifal pouvait venir! Nous nous sommes rendu à cette
inoubliable soirée, non sans un peu d'inquiétude, non sans un peu
de prévention. Allait-elle accentuer l'impérissable souvenir que nous
avaient laissé lès diverses représentations de « Parsifal » à Bayreuth,
dans cette ambiance si divinement appropriée? Allait-elle nous rappeler
ces fameux interprètes d'il y a quinze ans : Van Dyck, im­
' pressionnant Parsifal; Perron, douloureux Amfortas; Marie Brema;
troublante Kundry; Grengg, puissant Gurnemanz; cet orchestre,
ces chœurs si étonnants d'homogénéité, de si délicieuse sonorité,
sous la direction de Seidl? Allait-elle susciter à nouveau notre enthousiasme
et chose plus importante, cet enthousiasme allait-il se communiquer
au grand et bon public de chez nous, accouru à Parsifal,
comme à toute autre nouveauté sans trop savoir à quel spectacle d'exception
il se rendait?
Car il n'y a pas à se le dissimuler, malgré ses beautés musicales
accessibles à toutes les oreilles bien nées — et notre pays est particulièrement
privilégié sous ce rapport — « Parsifal » n'est pas de
nature à être apprécié dans toute son entiéreté par la multitude.
C'est une conception qui sort du domaine habituel de l'art lyrico
dramatique; par son esthétique, sa poétique, sa philosophie, elle
constitue une réalisation théâtrale sans pareille et sans précédent.
Synthèse profondément mystique, inspirée du christianisme le plus
pur, le plus élevé, le plus primitif, le plus ardent, dépouillé de
toutes les contingences confessionnelles, de tout ce que le fanatisme
et l'étroite bêtise des uns, l'ambition et l'habileté des autres
y a apporté de réticences, de conventions, d'obscurités, de cruautés
ou d'accommodements « Parsifal » nous apparaît comme la plus
rayonnante profession de foi aryenne qui ait jamais été enchassée
dans une création d'art scénique, comme la plus haute émanation
du spiritualisme qui ait jamais tenté un artiste. Telle ne fut point
cependant la préoccupation dominante de Richard Wagner; en écrivant
« Parsifal » il n'eut aucune arrière pensée d'apostolat ou de
prosélytisme religieux. Richard Wagner a voulu, conçu et réalisé le
relèvement moral du théâtre, il a Voulu, comme le dit très bien
Maurice Kuffierath dans sa si complète et si indispensable étude
de " Parsifal ", faire de l'art théâtral un complément de l'éthique,
de la morale, réagir contre le goût de la masse pour le spectacle
simplement divertissant, inspiré souvent par les situations les plus
équivoques. Mais, avant tout, Wagner a fait de la musique et du
théâtre et « Parsifal » répond victorieusement à ce but double et
nettement défini.