tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

302 LES PEUPLES ET LA VIE
semble à divers jeux, notamment à la balle, mais quand
celle-ci arrivait vers lui il avait soin de se rejeter en arrière.
« Que voulez-vous? disait-il, elle me fait peur ». Mais
lui aussi a gardé de tout cela une impressions délicieuse.
Dans une de ses dernières lettres il m'écrivait : « En corrigeant
mes épreuves, j'étais de temps en temps, traversé
d'un désir de musique. Des phrases entières, des périodes
entières, spécialement du second acte, surgissaient du fond
de mon esprit, avec une rapidité merveilleuse. O les beaux
jours ! les ferventes nuits de création et d'attente ! T'en
rappeles-tu encore ? »
D'Annunzio arrivait à Bellevue à l'heure du déjeuner.
Il venait en automobile, mais cet automobile il ne le renvoyait
pas à Paris. Il le laissait dans la localité au pied
de la montée qui conduit à la villa, bien qu'il fut à taximètre.
L'automobile s'arrêtait et le taximètre marchait.
Après le repas, nous nous mettions au travail et cela durait
jusqu'à deux ou trois heures de l'après-midi. Nous
travaillions, et le taximètre aussi...
« Je lui demandai :
— N'y a t-il pas de danger que l'automobile s'abîme?
— Ce sont des machines parfaites... répondait-il.
— Et le mécanicien que fait-il?
— Je lui ai dit d'aller manger d'abord et d'aller ensuite
dormir sur sa machine.
D'Annunzio était toujours impassible, un jour je l'observai.
— Mais pense donc, lui dis-je, qu'avec quarante centimes,
tu peux venir commodément en train.
— Mais pour payer quarante centimes il faut les avoir.
Et tu sais que mon unité monétaire commence à partir de
cinq francs.
Un jour il m'avertit qu'il ne pouvait venir le lendemain.
Il devait écrire des articles pour des journaux américains
et anglais qui les lui payaient cinq francs par mot.
Et combien de mots écrivez-vous?
— Mais, deux mille!...