tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

266 HISTOIRE DE CELUI QUI CRUT VAINCRE LES DIEUX
maître désireux de se ménager leur sympathie. Le jour, ils
discutaient entr'eux du prix et de la valeur des marchandises.
Le soir, ils se réunissaient en de longs repas qui duraient
jusque très tard, tandis que les hôtes, vidant des
brocs de bière fraîche, contaient les légendes de leurs contrées,
ou les aventures de leurs voyages.
Chaque année, depuis son enfance, Simon Frauhell
attendait fiévreusement ces visites. Avidement, il écoutait
ces histoires, et son imagination juvénile suivait, à
travers les péréprinations de la route, la caravane des
marchands nomades. Il revivait leurs étapes nocturnes,
où l'angoisse des rencontres mauvaises hâtait leurs pas,
— leurs émerveillements à pénétrer dans des palais de
rois étrangers, leurs luttes avec les rôdeurs et les bandits,
dans les forêts aventureuses et maudites, — et tous les
périls divers qu'ils croisaient à chaque instant, dans leur
long voyage de l'Orient lointain à la grand cité wallonne.
Souvent, le soir, quand le sang du soleil giclait sur les
nuages d'or et que les premières étoiles scintillaient emmi
le bleu plus sombre du ciel, il s'en allait, avec quelque
vieil étranger, parmi les rues bruyantes de la ville. Et,
comme ivre de savoir et de percer l'inconnu qui l'attirait,
il questionnait son compagnon sur les mystères des pays
lointains. Il s'enquérait des mœurs et des croyances, des
coutumes, des religions. Puis, après le départ des visiteurs,
il ressongeait longuement à leurs paroles. Et tandis qu'autour
de lui ce n'était qu'injuste joie et souffrance cachée,
s'élaborait en son cœur un infini désir de saisir le secret
du monde, la sagesse totale connue des Maîtres, qui permet
de vivre sans peine, et content de soi.