tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

ARTHUR DE RUDDER 303
— Mazette !
Le lendemain, d'Annunzio arrivait.
— Eh bien, l'article?
— Il est écrit.
Il repartit à deux heures et demie. Dès qu'il fut arrivé,
il regarda, songeur, l'automobile. « Je veux regarder le
taximètre, dit-il, combien de mots de mon article sont déjà
partis par là.
Pour aller de la villa à Bellevue nous devions faire un
long détour car l'habitation était à demi cachée dans les
bois. Et il n'y avait pas même un réverbère, j'avais une
lanterne sourde, que je tenais par un fil de fer, et à l'aide
de cette lanterne j'accompagnai d'Annunzio jusqu'à la
place de Bellevue. Un soir d'Annunzio me dit :
— Pense un peu, si quelque journaliste pouvait supposer
que nous trois — il y avait quelquefois ma fille avec
nous — nous nous promenons après minuit avec une lanterne
de quatre sous, et que nous battons la campagne
comme des malfaiteurs? Que dirait-on?...
Mascagni termina sa partition en cent douze jours.
Ce furent quatre mois d'un labeur délicieux accompli dans
la société d'un des plus grands poètes de notre époque,
et quand le musicien se sépara de son œuvre pour la remettre
à son éditeur il lui jeta un regard un peu triste
— Tu m'as rendu, lui dit-il, une jeunesse prodigieuse.
Maintenant que je t'ai finie, Parisina, il me semble que
tu m'abandonnes et qu'avec toi ma jeunesse m'abandonne
».
Le couplet n'est-il pas d'une jolie mélancolie?
ARTHUR DE RUDDER.