tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

PAUL ANDRÉ 305
On avait espéré qu'un musicien — et c'était la confiance de
Lemonnier quand il autorisa l'adaptation si périlleuse de son œuvre
— se trouverait qui suppléerait par la couleur et l'harmonie
de sa contribution symphonique à l'insuffisance expressive du texte
et de l'action. M. Casadesus ne m'a pas paru avoir été ce compositeur
et il n'a que très faiblement, très rarement réussi dans ses
évocations.
Le long prélude du premier acte de Cachaprès est peut-être le
témoignage le plus probant de cette impuissance.
Le livret renvoie au texte même de la description de la Forêt
et de la vie mystérieuse et bruissante qui y palpite; il indique que
l'orchestre doit en donner l'illusion. Or nous entendons une lente
et morne mélopée sourde aux accords contenus et soutenus, dans
les rythmes ou les sonorités de laquelle pas un instant ne passe
l'exact, allègre et chaleureux frémisssement des ramures, des bêtes,
du vent, — les voix fidèles enfin des bois en effervescence ou en
béatitude.
On pourrait dire de même de nombreux autres passages de cette
longue partition au demeurant très travaillée, et qui dénote, en
même temps qu'une généreuse inspiration, une science de technique
musicale fort experte.
Ce que M. Casadesus a le mieux réussi ce sont, à mon gré, les
deux tableaux de plein air où Germaine et le braconnier d'abord se
disent leur ardent amour et s'enlacent sous le large geste bénisseur
des grands hêtres, où la Gadelette et Cachaprès ensuite se trouvent
dans la même clairière, au moment où le pauvre diable traqué,
blessé vient mourir sur l'herbe qu'il ensanglante. Un souffle d'émotion
communicative, d'irrésistible passion, là éperdue, ici douloureuse,
passe dans ces deux pages des mieux venues.
. D'aucuns ont aimé le pittoresque de la ducasse wallonne. J'y ai
surtout entendu du bruit très discord, de la trivialité sans caractère.
Montée avec beaucoup de soins, l'œuvre de M. Casadesus a été
interprétée à la perfection par Mlle Heldy et M. Bouillez. On
pouvait craindre que la grâce un peu fragile de la délicieuse Butterfly,
de la touchante Violetta ne fût en contradiction avec ce
que nous prêtons de santé robuste, de passion vigoureuse à la
Germaine qui se donne sauvagement au beau mâle coureur de bois.
La pureté, l'aisance assouplie de la voix de Mlle Heldy, — malgré
qu'il faille mettre en garde la charmante artiste contre sa tendance
actuelle à beaucoup se dépenser dans trop de rôles bien
divers?... — ont compensé largement ce qui manquait à la plastique
du personnage.