tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

AUGUSTE VIERSET 369
pifs rubiconds, les plumets de sauvages, les culottes collantes
dans des bottes à l'écuyère, les travestis callipyges,
le municipal en tricorne, les ahuris et les grotesques, les
amants aux aguets, les maris en bonne fortune, les Flambards,
les Pandours, les Anatoles, les Pierrettes, et les
hussardes en veste soutachée, et la légion folle des débardeurs
et débardeuses.
Et par la-dessous des blagues, des ironies, des mots
frappés, des expressions peintes, des légendes d'une « langue
parlée » savoureuse. Comme on perçoit bien par cette
satire en action, par ces scènes ironiques ou spirituellement
hurlesques la gaité endiablée, les pétarades de ripostes,
de traits et de brocards de ces bals carnavalesques
ruisselants de verve et de fantaisie.
***
A présent l'intrigue a vécu. Le Carnaval est devenu
veule et grossier. S'il garde malgré tout son attrait, c'est
grâce au mystère de l'œil qui brille, de la lèvre qui sourit
sous le masque, de la gorge qui fleurit sous la guimpe ou
le dentelle.
Le masque énigmatique qui s'adopte à toutes les figures
et n'en trahit aucune, voilà la vrai raison de la pérennité
de cet usage antique. Il assure l'incognito, l'anonymat,
l'impunité. Il permet l'oubli de l'étiquette, des distances,
autorise la raillerie, la billevisée, la folie. Personne ne
sait qui vous êtes, on ne sait qui l'on coudoie, qui l'on
apostrophe, qui l'on tutoie, ni qui vous invite, s'assied à
votre table, boit dans votre verre et lit dans vos yeux.
Il dissipe l'embarras, enhardit les propos, autorise les
gestes risqués, protège les aventures, sème les imbroglios,
crée une personnalité nouvelle.
Pendant quelques heures, l'homme peut, grâce au masque,
secouer le fardeau de ses peines ou de ses ennuis, s'étourdir
sous une défroque qui lui donne l'illusion d'une complète
métamorphose. Parce qu'il a changé de vêtement,