tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

ARTHUR CANTILLON 347
de son enfance à l'heure de son départ; tous ces liens qui
vous attachent à un être aimé, comme les racines attachent
l'arbre à la terre. Puis ce fut une nostalgie inexprimable,
un besoin infini de revoir le bon vieillard et de le
presser sur son cœur.
Dans l'obscurité, il semblait à Simon qu'une présence
occulte s'affirmât; l'espace s'abolissait. L'esprit de celui
qui l'avait créé flottait autour de son corps et l'imprégnait
jusqu'aux moelles. L'instinct croissait, grandissait en son
cœur ; il pleura ; en vain rassembla-t-il les réseaux éparpillés
de sa logique ; au milieu de ses raisonnements spécieux ressurgissait
tout-à-coup l'image du veillard, et l'irrésistible
désir de l'embrasser avant longtemps.
Il lutta. Mais le Dieu qu'il avait exilé dans une heure
d'insensibilité maladive avait repris sa puissance, et s'implantait
en lui, plus fort que jamais. L'aube naquit. Simon
rassembla sitôt ses domestiques et ses valets.
— Préparez-vous à un long voyage. Je retourne en mon
pays. Que, dans trois jours, tout soit prêt pour l'exode.
J'emmènerai six des plus forts d'entre vous. Les autres resteront.
Alors, devant lui, s'agenouilla Clésis, la belle esclave
au corps d'ambre, qui gémit;
— Maître ! oh ! bon maître ! Emmène-moi ! Je suis ta
chose, ô maître, me laisseras-tu seule ici, pour que je
meure ?
Simon la regarda, affaissée, qui lui baisait les genoux.
Il comprit soudain qu'il souffrirait de la quitter, de l'abandonner
à quelque acheteur. Il connut qu'il l'aimait,
enfin, et que cet autre Dieu, l'amour, avait, depuis longtemps,
sans qu'il s'en aperçut, repris place en son cœur.