tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

298 LES PEUPLES ET LA VIE
pérament. Il demanda de la lire, fixant un délai de vingt
jours pour l'étudier à son aise. Une semaine après Mascagni
pouvait envoyer à Gabriele d'Annunzio un télégramme
lui annonçant son acceptation. Mais Mascagni acceptait
à une condition, celle que l'auteur des Romans de
la Grenade lui déclamerait ses vers.
Mascagni nous confie qu'il n'avait pas eu la curiosité
de lire la tragédie d'un trait. Il en lut et relut les principales
scènes, n'avançant pas dans sa lecture avant qu'il ne
fût bien pénétré de toutes les idées du poète. C'est ainsi
qu'il ne mit pas moins de cinq jours pour la lire. Et après
ces cinq jours, il n'était pas décidé encore à composer la
partition, parce que, nous dit-il, « ces vers merveilleux,
ces vers sonores, si bien rhytmés, me faisaient gonfler les
veines et mettaient mon cerveau en feu ». Peu à peu,
Mascagni sentait naître son enthousiasme pour une œuvre
dont il pénétrait toutes les beautés. Quand sa résolution
fut prise de collaborer avec d'Annunzio, il se rendit à
Paris. Il voulait que le poète lui lut sa pièce afin qu'il
put se pénétrer de toutes les inflexions de sa voix, pour les
reproduire, s'il était possible, en sons musicaux. Mais cette
idée du musicien étonna d'Annunzio.
Comment? lui dit-il, tu proposes de mettre de la musique
dans le chant?
Mascagni ne comprit pas bien l'idée de l'écrivain.
Mais oui, précisa-t-il, je veux dire que tu ne suis pas
les préceptes de l'école moderne, qui abandonne le chant
récité et fait commenter par l'orchestre ce que disent les
personnages.
Mascagni écouta ces paroles avec stupeur. N'avait-il
pas toujours dit que la musique et les paroles ne pouvaient
être désunies, parce qu'avec la musique on pouvait exprimer
non seulement toute la parole, mais plus que la parole?
Mais alors, reprit d'Annunzio, c'est moi qui ne comprends
pas. Ce n'est pas un labeur énorme de te livrer à
un travail de ce genre, puisque tu as devant toi un poète