tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

ARTHUR CANTILLON 345
aux brèves politesses nécessaires. Ses livres restaient des
mois entiers sans qu'il y touchât, puis, il prit un scribe
qui fit seul les écritures.
Il songeait sans cesse à son fils. Où était-il ? Peut-être
étendu, mort, sur une route? Egaré dans des forêts sans
issue? Brûlé de soleil dans un désert, râlant de soif?...
Mais non ! Le vieil arabe, connaissant les hasards des
voyages, éviterait au jeune homme les dangers de la route.
Et pourtant ! Combien d'autres étaient partis qu'on n'avait
jamais revus? Frauhell s'accusait; pourquoi s'était-il laissé
toucher par les conseils d'Eltaher? Pourquoi avait-il
consenti à ce long voyage, étant si vieux, se sentant si faible,
riquant de mourir sans avoir son fils à ses côtés?
Mais conserver Simon auprès de lui, c'était le laisser submerger
par des idées de mort, le laisser ronger par un
désespoir lourd et sans fin... Oh! Simon! Pauvre fils
éprouvé ! La vie s'écoulait si douce, avant que la Mort
eût fauché l'herbe de son cœur !
Il se souvenait aussi de l'autrefois, du doux petit garçon
timide et rose, à bouches folles, si mignon, et bavard comme
un moineau... Puis, du bel adolescent juvénile, étudiant
dans les livres et déjà vibrant d'amour. Enfin, il revoyait
son fils fort et beau, tel qu'il était le jour de son départ.
Maintenant, Simon parcourait les terres lointaines, et
l'espace s'étendait, de jour en jour, entre leurs deux cœurs.
Le temps passa, des mois s'écoulèrent Il y avait plus
d'un an que Simon était parti et l'on n'avait jamais eu
de ses nouvelles.
Frauhell se courbait ; chaque jour le vieillissait davantage.
II pleurait seul, souvent, à gros sanglots, comme les
vieillards. Ses serviteurs le devinaient à ses yeux rougis et
lui témoignaient alors un plus amical attachement. Ils
lui parlaient avec douceur, tentaient de le distraire, de
l'intéresser à son commerce. Rien n'y faisait. D'un regard
lent et voilé, Frauhell les remerciait, sans doute, mais ne
leur répondait pas.