tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

184 AVENTURES DIVERTISSANTES
mais qui à Buenos-Ayres paraissaient un peu villageois
par je ne sais quels détails de coupe, de couleur, je serais
presque tenté de dire d'odeur.
Je me mis à fréquenter les grands restaurants à la mode,
les théâtres, les clubs, les cercles que je connaissais déjà,
avec le faste discret qui ne me quittait plus ; et cela me
fit croire un instant que je commençais à être populaire.
On me voyait, en effet, toujours entouré d'un cercle d'amis
et de connaissances qui allait chaque jour s'agrandissant
et dont j'étais ou je croyais être le centre principal, car
tous me témoignaient non seulement de la déférence, mais
encore jusqu'à de l'admiration. De ce nombre étaient quelques
camarades qui, au cours de mes visites précédentes,
étaient venus s'asseoir à ma table, et qui m'avaient initié
à la connaissance des plus aimables coins de la capitale ;
mais auparavant, ils n'étaient pas si nombreux ni si assidus
— ou du moins ils ne paraissaient pas l'être, grâce à la
brièveté de mes séjours — tandis que dans cette période
nouvelle j'arrivais à m'apercevoir qu'ils étaient innombrables
et. encombrants à l'excès, surtout en considérant
à la fin du second mois que j'avais mangé ce que je croyais
suffisant pour une demi-année pour le moins. Mes ressources,
grandes en province, paraissaient très minces dans
la capitale, pleine de pentes, de cloaques et d'égoûts par
où s'en allait l'argent comme l'eau par un jour de pluie,
sans que, pour rester sans le sou, il soit nécessaire de
tomber dans le travers de prêter avec exagération à tous
ceux qui le demandent. Je résolus donc de me soustraire
un peu à l'admiration de mes contemporains; et me souvenant
à propos de mes excellentes résolutions de modestie,
je me jurai cette fois de les mettre en pratique.
Avec tout cela et bien que je pusse escompter par avance
mes honoraires de député, l'argent ne me venait pas suffisamment,
au milieu de ce « gouffre » dévorant, surtout
si je voulais maintenir ma petite fortune dans son intégrité,
comme c'était en effet mon intention. Il se peut qu'à cause
de cela on me considère comme un homme intéressé, pour