tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

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PARIS ET LES PARISIENS
d'hui, pour célébrer l'épisode poétique de cette vie unique
qui débuta comme un conte de fée, nous buvons, nous tanguons,
nous nous grisons au rythme d'une musique trépidante
et lascive. Cependant, à la messe de minuit, la foule
se bouscule ; elle se presse à la Madeleine ; elle s'écrase à
Notre-Dame : sur l'autel, les flammèches courtes des cierges
vacillent ; une clochette d'argent tinte ; les choeurs
répondent à l'officiant ; les sons aigus et bas de l'orgue
se propagent comme des ondes qui se joignent et se mêlent
bientôt et remplissent les nefs d'un chant majestueux.
Mais cette minute de recueillement ne se prolonge pas et
nous oublions bientôt ces instants de joie et d'émotion
candide.
Paris réveillonne ; Paris ne vit plus que par le ventre ;
partout, dans les palais comme dans les mansardes, dans
les restaurants à la mode comme dans les gargottes de la
Villette et de Montrouge, le champagne, le vin, le cidre,
la bière, humectent les gosiers et troublent les cervelles.
Des bandes de jeunes gens zig-zaguent par les rues ; une
joie, brutale et factice, immuable comme un rite et morne
parfois comme un enterrement, enveloppe Paris, tend
nos nerfs, aiguise nos sens, jusqu'à ce que la gaîté, en
s'exaspérant, supprime même la sensation du plaisir. Paris
réveillonne, Paris s'amuse...
A cette débauche bourgeoise et à cette goinfrerie, je
préfère l'impression mystique, imprécise, ténébreuse, inquiétante
et cependant infiniment, artiste dont M. Gabriele
D'Annunzio, l'auteur du Chèvrefeuille, nous fit tresaillir.
Un public de choix, jeunes femmes qui nous révélaient la
rondeur de leurs seins et messieurs en habit noir, s'étaient
entassés dans la vaste salle de la Porte Saint-Martin.
Dans la pénombre des baignoires les genoux se frôlaient,
et, comme si un fluide d'électricité eût aimanté les doigts,
des critiques et de jeunes hommes de lettres serraient plus
longtemps que de coutume dans leurs mains les mains
effilées et baguées d'actrices souriantes et inquiètes. Le
théâtre s'était métamorphosé en une sorte de temple d'à-