tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

ARTHUR DE RUDDER 221
en quelque sorte un personnage romantique. L'Ulysse
d'Homère se présentait en mendiant dans sa patrie, mais,
sous ce déguisement il conservait sa noblesse. L'Ulysse
de M. Gerhard Hauptmann perd cette dignité. Ses manières
sont celles d'un insensé. Tantôt il rit, tantôt il
pleure. Sa simulation est complète. Il ne s'est pas borné
à emprunter un costume qui lui est étranger ; il a pris une
autre âme. Et ajoutons-le, il n'y a pas seulement que de
la simulation dans l'aspect étrange sous lequel il se présente.
L'esprit d'Ulysse est réellement affaibli par les fatigues
d'un voyage douloureux. Le désespoir s'est emparé
du héros. Il ignore le nom de l'île dans lequelle il a
abordé. Il interroge Leucone, la nièce d'Eumée qu'il
aperçoit la première sur la terre qu'il vient d'atteindre, et
quand il entend prononcer le nom d'Ithaque, son royaume,
la joie de ce pauvre homme est si grande qu'il se précipite
sur le sol et embrasse à pleine bouche cette terre, la sienne,
« plus douce que le corps de Circé, plus splendide que
le lit de Calypso. » Combien ce personnage est différent
de celui du héros homérique, revenant calme et fort dans
son pays, préparant adroitement le coup terrible qui frappera
les prétendants au trône de ses pères. Il est vrai que
l'Ulysse « allemand » se reprend vite, il croit bon de
se dire l'ami d'Ulysse, mais cette recommandation est
de bien peu de poids. L'ancien souverain d'Ithaque n'a plus
d'amis dans l'île. Seul le vieil Eumée pense encore à lui,
mais il défend soigneusement qu'on lui en parle, car, il
le croit mort. Tant d'aventuriers sont venus à Ithaque se
disant les anciens amis du roi qu'il n'accorde plus sa confiance
aux paroles du vieux mendiant.
Ulysse continue son rôle. Il est humble et timide ; il
baise le seuil de la porte, il baise la flamme.
— Laisse-moi caresser la flamme de ce foyer, dit-il à
Eumée, laisse-moi plonger mon visage déshonoré et maudit
dans la flamme, comme l'enfant le cache dans le sein
de sa mère.
Et la servante Melanto, la maîtresse du prétendant Eu-