tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

326 SOUVENIRS
La clémence à la force est dans sa main unie :
Il pouvait comme toi, mon Dieu, donner la vie,
Il préféra donner la mort.
Oh, subis sans rougir, ta mort, ta flétrissure,
Homme de sang, de crime, assassin et voleur,
Ta mort à bien des yeux amoindrit ta souillure,
Et moi je toucherais, moi dont la main est pure,
Bien plutôt ta main que la leur!
Comme de juste, j'éprouvai la curiosité de savoir quel
était le pauvre diable au sort duquel avait compati ma
sensible parente. Il m'était presque devenu cher par la
commisération qu'il lui avait inspirée. Des recherches
auxquelles je me suis livré dans les collections de journaux
de l'époque il résulte que le criminel guillotiné le 12 juillet
1847 (les vers de Marie Œdenkoven sont datés du 11 juillet)
s'appelait Frans Van Ruth. A peine sorti le 7 août
1846 de la Maison de Force de Gand où il avait purgé une
condamnation de douze ans pour vol, le 18 novembre de la
même année, il assassinait à Ranst, village des environs
d'Anvers, un de ses camarades de prison, l'instituteur
Lucas Van Daelen pour le dépouiller de l'argent de la
masse que celui-ci avait épargné durant sa détention, et
qui ne représentait qu'un peu plus de 17 francs. D'après
M. Poffé (1), au moment de sortir de la prison dite de
Tour et Taxis, pour se rendre Grand'Place, au lieu de
l'exécution, Van Ruth autorisé à faire ses adieux aux
autres détenus réunis à cet effet dans la chapelle, leur
aurait adressé cette allocution : « Quand les portes s'ouvriront
devant vous et que vous pourrez retourner librement
auprès des vôtres, ah, songez alors à ma déplorable
fin... ! » Van Ruth n'avait que trente et un ans. D'autres
détails sur la mort de ce criminel repenti me furent communiqués
par feu Pierre Génard, l'archiviste de la ville
d'Anvers. Ils me servirent pour un de mes contes, intitulé
Tante Marie auquel j'ai précisément donné pour
épigraphe les derniers vers de la pièce si évangélique de
(1) Plezante Manners in eene Plezante Stad par Poffé.