tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

258 L'ELOQUENCE AU PARLEMENT
on redoutait en Belgique l'expansion révolutionnaire et
que Delfosse prononça la phrase fameuse : « La liberté,
pour faire le tour du monde, n'a pas besoin de passer par
la Belgique. » Ces mots provoquèrent une fiévreuse démonstration
de patriotisme et la séance fut levée.
C'est aussi la journée où Vilain XIIII, interrogé par
Orts qui, au lendemain de la Conférence de Paris de 1856,
lui demandait si le Gouvernement belge, sous la pression
du Second-Empire, consentirait à modifier les libertés inscrites
dans la Constitution, se borna à répondre « Jamais ! »
Le mot fut acclamé. Ce n'était qu'un mot cependant,
mais qui valait un discours, plus qu'un discours : c'était
un acte.
Et, moi-même, j'ai participé un jour à l'une de ces
rares émotions parlementaires. On touchait à la fin de la
longue discussion qui s'était engagée en 1906, au sujet
de la lettre du Roi Léopold II traçant les conditions de
l'annexion éventuelle du Congo. Elle avait mis aux prises
diverses fractions de l'assemblée. L'avenir colonial du
pays était en jeu ; au dernier moment, la Chambre, après
une suspension de séance, — le soir, ce qui est exceptionnel
— s'unit dans un vote presque unanime et proclama
le principe de l'annexion du Congo.
Mais, en somme, vous le voyez, ces épisodes pathétiques
sont très espacés dans notre longue histoire parlementaire.
Et comment s'en étonner? Dans un pays comme
le nôtre qui vécut pendant plus de trois quarts de siècles
d'une vie normale, moyenne, ordinaire, qui n'a jamais
été secoué, bouleversé par un accident, les occasions d'émotion
sont rares et, par conséquent aussi, les occasions
d'éloquence. L'éloquence n'est pas une plante commune
qui pousse n'importe où ; elle affectionne les terrains mouvementés,
onduleux ; c'est une fleur des sommets, qui a
besoin pour s'apanouir de l'air vif des altitudes, et il faut
bien reconnaître qu'il n'y a pas beaucoup de sommets à
l'horizon politique de notre pays.
La Belgique est un petit pays, et c'est une grande