tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

PAUL ANDRÉ 81
Ce n'est pas de manquer d'expérience dans le métier dramatique
que l'on reprochera à ceux-ci de nos auteurs nationaux qui réussissent,
avec chacune de leurs piquantes et joyeuses comédies, à
conquérir la faveur totale, et compréhensible, du public. Mais comment
ne se plairait-on pas à écouter ces merveilleux artistes, si
admirablement entrés dans la peau de leurs pittoresques et toujours
sympathiques personnages : Jacque, qui est sacré par Paris lui-même,
et avec raison, un très grand comédien; Mlle Delmar, qui est
toujours la grâce spirituelle en personne et la séduisante sensibilité;
Jules Berry, la fantaisie alliée au naturel; Mme Charmai, une
bonne bourgeoise « du bas de la ville » qu'on dirait vivante sur la
scène comme elle le serait dans sa boutique; et Mlle Dieudonné, et
Mylo et d'autres; — comment ne prendrait-on pas le plaisir le plus
complet à goûter la saveur de tous ces traits d'exacte observation,
à regarder se mouvoir, à entendre s'exprimer ces types de chez nous
dont la drôlerie n'est cependant jamais caricaturale?
La Demoiselle de Magasin procède évidemment de cette veine
comique qui fit la fortune du Mariage de Mlle Beulemans. Mais ici
la comédie, la comédie à la fois de caractères et de mœurs, prend
beaucoup plus d'ampleur. Sous le dehors jovial d'une amusante
peinture de quelques risibies façons toutes locales de s'exprimer
et d'agir, les auteurs ont écrit une œuvre dont la psychologie la
plus fine n'est pas absente et où l'art de sûrement. émouvoir se
marie à l'adresse irrésistible de faire rire.
Il n'est personne qui ne voudra voir et savoir comment l'intelligente
et malicieuse Claire Frénois, engagée comme demoiselle de
magasin par le brave M. Deridder, tapissier-garnisseur bruxellois,
fit prospérer soudain des affaires qui n'étaient pas brillantes, transforma
la vieille petite boutique sans éclat en un fastueux magasin
élégant ; comment elle amena un millionnaire amoureux d'elle à
commanditer M. Deridder et à offrir jusqu'à son nom à la jeune
fille — qui le refuse, parce qu'elle est honnête et loyale et qu'elle
aime le fils Deridder. Elle l'épousera d'ailleurs, — petite fée bienfaisante
qui a fait, autour d'elle, le bonheur de tout le monde, ou
presque...
Mais c'est en assistant à la représentation de ces trois actes souriants
et spirituels qu'on en goûtera tout l'agrément, qu'on comprendra
pourquoi leur succès fut si vif à Paris pendant des mois,
et le sera pareillement à Bruxelles. Son optimisme, sa gaîté cordiale,
sa moquerie sans méchanceté et sa douce sentimentalité sans fadeur
expliquent la faveur en laquelle on tient une œuvre originale et
charmante comme celle-là.