tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

MAURICE GAUCHEZ 333
méthaphysiques, il ne compte guère sur l'intelligence de
ses auditeurs? En faudrait-il conclure que ceux-ci ne sont
si nombreux, que parce que le maître nie cette intelligence,
et que cette négation convient à leur insuffisance intellectuelle?
Toujours est-il que M. Bergson a dépassé
M. Boutroux, autre philosophe, parce qu'il s'est montré
plus jeune, plus actif, plus doctrinaire et plus séduisant
que lui. Or, l'autre jour, lorsque M. Ribot, homme d'Etat
de haute culture, loua à l'Institut devant ses collègues,
M. Bergson, alors candidat à l'Académie française, ses
termes enthousiastes et ses appels résolus au vote coïncidèrent
avec la période de vogue la plus grande qu'ait connu
le métaphysicien nouveau.
C'est une vraie révolution au collège de France. Les
mondaines ont monté M. Bergson en épingle, en bracelet,
en broche ; elles se flattent d'être ses disciples et
jamais nous ne les vîmes si avides d'absolu et de philosophie.
Il n'y a guère longtemps, comme les profanes envahissent
tous les jours la salle où doit parler M. Bergson,
les étudiants, pour se réserver des places, décidèrent d'assister
au cours qui précède celui du philosophe, c'est-àdire
à celui de M. Leroy-Beaulieu ; ils y passèrent leur
temps à pousser des cris divers. Aussi, en arrivant,
M. Bergson se dressa-t-il dans sa chaire et annonça-t-il,
d'une voix irritée que « si les manifestations précédant
son arrivée se continuaient, il cesserait son cours ». Il ne
cessa pas son cours. D'accord avec M. Picavet, l'administrateur
du Collège de France, il avança « son » heure.
La mesure prise contraria beaucoup d'étudiants car elle
faisait coïncider le cours de philosophie avec d'autres, mais
elle était nécessaire. M. Picavet reçoit tous les jours des
demandes de places réservées. Des dames se recommandent
des ambassades étrangères. Des personnalités désirent même
être placées dans la... tribune diplomatique.
Il faut dire qu'il est scandaleux de laisser envahir les
salles de cours par les « snobinettes » au point que la jeunesse
studieuse doit renoncer à y entrer. M. Bergson est