tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

162 LE DRAME ET L'OPERA
séjour de son ancien amant à la villa. Elle affirme à tout bout de
champ que tout est bien mort en elle de ses amours coupables de
naguère. Pourquoi tant d'émoi et de fébrilité, dès lors, à la première
rencontre avec l'homme de ce passé dont elle prétend ne
plus même se souvenir?
Ou bien Henriette pouvait, et le prétexte était bien facile à
trouver, repartir pour Paris ou pour une autre ville d'eau, emmener
son mari loin de la maison dangereuse...
Non, Henriette reste, s'affolle, s'énerve, fait des scènes au pauvre
Le Guenn qui se désole et ne comprend rien. Elle reste et elle
dénonce, par son trouble continuel, son état d'âme désemparé.
Tout cela ne peut que mal finir. C'est ce que voulait l'auteur.
Mais quelqu'un d'autre aussi le voulait. C'était Gabrielle Jannelot.
Car Gabrielle n'est pas du tout la bonne et tendre et secourable
et si affectueuse amie que tout le monde s'est imaginé jusque
là, tout le monde y compris les spectateurs. Cette petite femme
langoureuse est un monstre, un monstre de duplicité, de méchanceté.
Nous l'apprenons tout à coup parce qu'elle nous le révèle.
Et ceci est choquant d'invraisemblance. Voilà une femme qui fait,
comme le fait dire l'auteur par un de ses personnages « le mal
avec une passion consciente et sombre », une femme qui « exècre
le bonheur des autres ». Elle machine depuis des années les vilenies
les plus atroces. Elle répand sciemment et savamment la tristesse
et le désespoir autour d'elle. Elle brouille son mari et la
sœur qu'il chérissait. Elle déchire la félicité du jeune ménage Le
Guenn et cela à plaisir, avec un féroce sadisme du mal, de l'envie,
de la jalousie. Car c'est elle, détentrice du fameux « secret » qui
n'a pas gardé celui-ci. C'est elle qui a voulu le rapprochement de
Charlie Ponta et de Henriette. C'est elle qui escompte avec une
joie cruelle le revenez-y des deux amants, la torture de Denis Le
Guenn. C'est elle au surplus qui, naguère, avait dans l'ombre, empêché
le mariage que les deux amants ne demandaient pas mieux
que de réaliser et qu'un malentendu avait seul rendu impossible.
Tout cela cette méchante, cette criminelle, — cette malade l'a
tait sans que personne, jamais, n'ait une seule fois, le soupçon de
tant d'horreurs ! Je ne parviens pas à croire ni à tant de roublardise
de l'une ni à tant de naïveté des autres. Or c'est cette
femme, qui n'a pas volé que son mari, enfin édifié, mais tout à
l'heure pardonnant, lui crie : « Tu es une merveilleuse et dégoûtante
hypocrite! » — c'est cette femme qui, soudain, avoue tous ses
crimes, met son vilain cœur à nu, se traîne, en demandant pardon,
aux pieds de ceux qu'elle a torturés! C'est cette femme foncièrement
méchante, et méchante par vice, non par calcul ou par néces-