tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

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LES FAITS ET LES IDÉES
tous les rangs sociaux, à tous les personnages de rêve et
de légende.
Il nous suffit d'ouvrir les albums de Gavarni, pour
comprendre ce que fut, à son apogée, le Carnaval du siècle
dernier, pour revivre les bals Berthelemot, ceux des
Variétés, des Vendanges de Bourgogne où il emmenait
Balzac en robe de moine, et les bals de l'Opéra au temps
du règne de lord Seymour et sous la régie du grand ordonnateur
Chicard.
Pour aider ses amis à se travestir, Gavarni a vidé ses
malles, pleines de Paillasses à carreaux, de costumes andalous,
égyptiens, de défroques de débardeurs, de costumes
sauvages avec des grelots le long des manches. Luimême
a revêtu le costume de « patron de bateau » qu'il
dessina pour Tronquoy et qui eut tant de vogue : une
chemise de mérinos rouge, une petite veste blanche à deux
rangs de boutons d'argent, un pantalon de velours noir,
des bas de soie rouge, un chapeau de paille avec une
branche de saule et une pipe d'argent passées à travers le
ruban noir.
Il est de tous les bals ; il y danse le rigaudon, mais il
s'y grise surtout de tout ce qui l'entoure, de la musique,
du bruit, de la lumière, du mystère qui rôde parmi ces
gens masqués, des passions qui se heurtent, des drames
qu'il devine, des vaudevilles qu'il surprend, du parfum
d'aventure qui flotte et s'épand dans la chaude atmosphère
de la salle. Et à peine rentré chez lui, d'une main qui
se souvient, il fixe, en des dessins patients et serrés, aux
petites tailles croisées et aux hachures menues, si lumineux
et si modelés, des formes plastiques d'une vie singulière
où s'accusent à la fois le visionnaire intense et le
lucide psychologue.
Et voici le grouillement du bal, le pittoresque des haillons,
la drôlerie des défroques, le papillotage des dentelles
et des rubans, le chatoiement des velours, de soies, des
fanfreluches, la fantaisie des postures, l'attirance des
épaules nues, le geste canaille, le regard moqueur, les