tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

ROBERTO-J. PAYRO 185
ne pas dire mesquin ; mais c'était seulement chez moi de
la prévoyance, car je savais tout comme un autre dépenser
mes rentes sans sourciller. Que serait-il advenu de moi,
à ne pas agir de cette manière, quand tant d'autres plus
riches que moi, entraînés par le courant, furent bientôt
précipités dans l'abîme de la misère ou à bien peu près!
Il était donc urgent d'estimer mes ressources et, à cet
effet, j'écrivis à Correa, en lui demandant un secours, sous
forme de commission gouvernementale ou autre. J'avais
observé que les fonctionnaires et les employés les mieux
rétribués devenaient généralement riches ou atteignaient
une bonne position moyenne, comme si les pouvoirs publics
s'employaient à conserver et à augmenter les fortunes, de
manière à créer un patriciat évidemment nécessaire à la
bonne marche du pays. Malgré tous leurs mérites, les
hommes habitués à vivre de peu n'ont pas besoin de
grandes ressources, spécialement s'ils travaillent d'une manière
sérieuse ; et leur donner au début plus de bien-être
contribue généralement à les pervertir ; tandis que ceux
qui, nés dans l'abondance, ont à songer à garantir et à
conserver leur situation, car autrement ils seraient aisément
amenés à faire tache, ceux-là dissipent vite leur
fortune et sombrent dans la misère, compromettant ainsi
une des meilleures parts de la société, clans l'incapacité où
ils sont de remonter à la surface par leur seul effort. Cette
action conservatrice des pouvoirs et de la collectivité, unis
dans un commun accord, est la chose la plus plausible et
la plus évidente. Qui trouverait à redire à ce que, dans
le cas de Faustino Estebanez, perdu par ses dettes de
jeu, tout le monde l'aidât pécuniairement à se sauver, bien
que la chose fût inutile, tandis que personne n'était prêt
à secourir le physicien Renato Pietranea, qui mourait de
faim en cherchant la solution de je ne sais quel problème,
en sorte qu'il dut y renoncer pour gagner sa vie comme
simple employé de commerce? Dans le premier cas, le
déshonneur de Faustino retombait sur tous les Estebanez,
apparentés à la plus haute société ; et pour cette raison,