tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

ROBERTO-J. PAYRO 179
homme comme lui. Une simple ornière n'achève pas un
gaucho de sa trempe. Non ! Tout au plus souflfrait-il d'un
long évanouissement et la plaie serait facile à guérir... Dans
la première jeunesse on a quelque peine à se faire à l'idée
de la mort.
Je revins avec des gens, que, par fortune, je rencontrai
aux abords du village, pendant que l'un deux courait prévenir
le médecin et chercher une voiture. J'espérais retrouver
mon père ranimé, sur pied et prêt à reprendre sa
marche; mais il était resté inerte, tiède encore, et il ne
fut pas possible de lui faire avaler une seule goutte du
genièvre apporté à cette intention. Le docteur Merino, qui
survint dix minutes plus tard, ne put que constater le décès.
Je n'omettrai pas ici un épisode, qui, malgré les circonstances
tragiques, m'occupa un instant et qui me causa une
certaine impression. Fidel Comensoro, un des paysans qui
m'avaient accompagné, entendant que le Zaino de Tatita gémissait
et se plaignait presque comme une personne, s'approcha
de la bête pour l'examiner.
— Elle a les deux jambes brisées, dit-il — il faut l'achever.
Et tirant d'un geste résolu le couteau pendu à sa ceinture,
d'un seul coup il lui coupa la gorge, consommant
ainsi, sans y penser, un sacrifice autrefois en usage sur la
tombe des anciens seigneurs de la pampa...
Le cadavre du pauvre Tatita fut soigneusement étendu
dans la voiture et je le suivis au pas de mon cheval, sans
trop savoir ce qui m'arrivait, comme si moi aussi j'avais
reçu un coup sur la tête... Avant d'arriver au village, notre
petit groupe avait considérablement augmenté et quand,
en nous dirigeant vers la maison, nous dûmes passer par
les principales rues, nous formions un imposant cortège.
La nouvelle s'était déjà répandue et tout le monde accourait,
amis, indifférents et ennemis, les uns attirés par la
peine, les autres par la curiosité ou la satisfaction plus
ou moins mal dissimulée. Entre-temps quelques femmes
avaient entouré Mamita pour la préparer à l'horrible sur-