tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

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LA PROSE ET LES VEKS
étonnement, honoré à l"égal des plus grands Maîtres. Sa mort fut
tenue pour un malheur national.
Entre ces deux excès d'honneur et d'indignité il y a place pour
une estime équitable. C'est celle-là que M. Séverin voudrait voir
réservée à un écrivain dont l'œuvre lui semble « être quelque chose
de mieux qu'une simple curiosité littéraire. »
Il voit en quelque sorte dans les poèmes de Weustenraad le
reflet des aspirations d'un peuple nouvellement appelé à prendre
sa place dans le monde. Il y a des rêves, de l'enthousiasme, de
vastes espoirs, dans l'âme de cette jeune nation. Le lyrisme de
Weustenraad fut leur écho.
Une documentation très minutieuse et complète a permis au
biographe de ne rien laisser dans l'ombre de ce qui, dans la vie
du poète, était capable d'expliquer ses œuvres. C'est ainsi que
nous suivons le jeune maestrichtois pas à pas depuis ses débuts
dans d'obscures gazettes locales du Limbourg, puis dans toutes les
étapes de sa vie. Celle-ci fut partagée entre les soins qu'il accorda
à ses fonctions de magistrat, — Weustenraad fut, en effet, nommé
auditeur militaire à Liége en 1832, — et ses travaux littéraires.
A Liége, il se mit à la tête d'un mouvement en faveur du développement
de la culture intellectuelle; il fonda des associations, des
revues, il prêcha d'exemple, il donna le spectacle d'une féconde et
multiple activité. Il fut critique, polémiste, dramaturge, poète
national, social, humanitaire. Il fut journaliste militant. L'Académie
l'appela à elle. Il passa à Bruxelles les deux dernières années de
si vie. Il mourut le jour de Noël de 1848, sa fin ayant été hâtée
par la déception que fut pour lui la nomination de Sainte-Beuve
à la chaire de littérature française à l'Université de Liége. Il avait
postulé la place. Lié d'amitié avec Charles Rogier, il avait cru
réussir. Son échec lui fut très sensible.
Après avoir ainsi situé l'œuvre de Weustenraad dans son époque
et dans son milieu, M. F. Séverin se trouve très à l'aise pour
expliquer les raisons qu'il a eues de tirer de l'ombre un auteur
qu'on y tenait trop obscurément caché. Théodore Weustenraad, ditil,
a laissé une œuvre éminemment belge, et, n'en déplaise aux
railleurs impénitents, M. Séverin, de qui l'opinion a son prix, attache
ici au mot belge le sens le plus honorable.
L'œuvre de Weustenraad est belge, parce qu'elle est l'expression
d'un patriotisme très intense dans les années qui suivirent notre
révolution; parce qu'elle reflète aussi quelques-uns des traits essentiels
et durables de notre physionomie nationale; parce qu'elle
glorifie notamment le travail humain sous ses formes les plus modernes;
parce qu'enfin elle inaugure « une tradition d'art qui se