tome 34 (n°115-119) - de l'Université libre de Bruxelles

54 LES FAITS ET LES IDEES
devant le porche, gardé par des hallebardiers à tricorne
et à pourpoint garance.
A droite de l'entrée, faisant pendant à l'affiche du Cid,
on a placardé l'ordonnance de police réglementant le prix
des places.
Mondory, comme un général au matin d'une bataille,
es partout, veille à tout. Les deux quinquets de l'avantscène
sont allumés ainsi que les chandelles garnissant les
candélabres en tôle appliqués contre le tablier des loges.
Des seaux plein d'eau sont placés dans le manteau d'arlequin.
Les musiciens gagnent leur poste sur l'estrade ménagée
au dessus de la porte d'entrée. Les loges, les rangs
de banquettes de la galerie d'en face, le parterre, tout
est comble à ce point que des personnes de qualité envahissent
la coulisse. Mondory imagine de faire disposer à
leur intention des chaises sur les deux côtés de la scène.
La belle idée qu'il a eue là ! Pendant un siècle, la mode
va perdurer, encombrant la scène d'une quinzaine d'élégants
nonchalamment renversés sur leurs sièges, causant entre
eux tout en rajustant leurs rubans ou peignant leur perruque,
gênant les entrées et les sorties des acteurs, les interpellant
au milieu d'une tirade, interrompant leur jeu en
pleine scène, et troublant le spectacle à grand fracas, ainsi
que le constate Eraste dans « les Fâcheux ». Il ne fallut
rien moins que l'énergie de Lekain en 1759, et l'intervention
du comte de Lauraguais qui offrit aux comédiens de
prendre à sa charge tous les frais de transformation de
leur théâtre, et à qui il en coûta soixante mille livres, pour
mettre fin à cet abus.
Mais Mondory qui a fait signe à l'orchestre de jouer
une sarabande, ne se doute guère des conséquences de son
innovation d'administrateur pratique. On l'a prévenu que
le lieutenant de police s'impatiente ; car défense est faite
aux comédiens de jouer après quatre heures et demie et de
commencer après deux heures. Or il en est trois. L'orchestre
se tait. On frappe les trois coups. Le souffleur Fléchelles,
installé derrière le châssis, tire la corde du rideau qui