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L'avers et le revers

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De toute sa vie <strong>et</strong> malgré des traverses parfois cruel<strong>le</strong>s, oncques<br />

n’ai revu sur <strong>le</strong> visage de mon maître un ravage plus effrayant<br />

que celui qui suivit c<strong>et</strong>te dispute d’avec son père. Il était<br />

proprement livide, <strong>le</strong>s traits exsangues, <strong>le</strong>s cernes creusés, la<br />

nuque raide, <strong>et</strong> un léger tremb<strong>le</strong>ment agitait ses lèvres. Toute<br />

superbe avait disparu <strong>et</strong> ses gestes en étaient devenus <strong>le</strong>nts <strong>et</strong><br />

maladroits. Quelque chose s’était brisé en lui, <strong>et</strong> ce quelque<br />

chose n’était que l’amour de son père, qu’il pensait avoir à<br />

jamais perdu. Il n’était plus Pierre de Siorac, il n’était que Pierre<br />

qui partait sur <strong>le</strong>s routes de France, seul, <strong>et</strong> comme presque<br />

mort du fait que son père adoré ait détourné de lui son regard.<br />

Même ce jour d’hui, <strong>le</strong> choix effectué par mon maître m’en<br />

impose <strong>et</strong> m’impressionne, <strong>et</strong> me laisse tout admiratif, car, lors<br />

même que sa décision l’anéantissait <strong>et</strong> <strong>le</strong> réduisait à néant, il s’y<br />

tenait sans faillir, sonné mais debout, branlant <strong>et</strong> d’aplomb tout<br />

à la fois, titubant mais avançant encore.<br />

C’était merveil<strong>le</strong> de constater c<strong>et</strong>te issue en ce duel inégal où<br />

<strong>le</strong> père a toutes <strong>le</strong>s armes <strong>et</strong> <strong>le</strong> fils si peu. Au reste, était-il<br />

intelligib<strong>le</strong> que mon maître ne renonçât aucunement à la<br />

promesse faite à une morte <strong>et</strong> qu’il continuât à y rester fidè<strong>le</strong>,<br />

alors que c<strong>et</strong>te promesse lui avait été imposée par sa mère<br />

contre son gré <strong>et</strong> sa volonté ? Et enfin, la <strong>le</strong>cture de la décision<br />

prise par mon maître se brouil<strong>le</strong> à l’infini si on considère que sa<br />

mère comptait moins pour mon maître que son père, non pas<br />

parce que l’une était trépassée <strong>et</strong> l’autre vif, mais bien parce que<br />

l’une n’avait pas su de son vivant s’attacher l’amour de ce fils<br />

turbu<strong>le</strong>nt <strong>et</strong> impétueux tandis que l’autre était devenu l’unique<br />

ido<strong>le</strong> <strong>et</strong> modè<strong>le</strong>.<br />

J’y vois une roide <strong>et</strong> indéfectib<strong>le</strong> fidélité à la paro<strong>le</strong> donnée,<br />

une grandeur d’âme <strong>et</strong> une fortitude que peu atteignent, un<br />

refus de transiger sur <strong>le</strong>s principes qui fondent une existence<br />

juste <strong>et</strong> droite, <strong>et</strong> cela même au risque de perdre la seu<strong>le</strong> chose<br />

qui comptât vraiment pour lui en ses vertes années, son père<br />

bien-aimé. En ce triste prédicament, mon maître touchait au<br />

tragique des pièces antiques, <strong>le</strong> déshonneur ou <strong>le</strong> bannissement,<br />

<strong>et</strong> il avait choisi selon, dans la dou<strong>le</strong>ur <strong>et</strong> la souffrance <strong>et</strong> pas<br />

même un regard vers l’autre plateau de la balance. C’était tout à<br />

la fois sublime <strong>et</strong> effrayant, inconsidéré <strong>et</strong> nécessaire, hasardeux<br />

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