L'avers et le revers
L'avers et le revers
L'avers et le revers
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
suivirent mon arrivée à Mespech, il éprouva notre relation de<br />
maître à val<strong>et</strong> comme on tire sur une corde, s’amusant à<br />
mesurer sa résistance <strong>et</strong> son élasticité. Ce n’est pas chercher à<br />
l’excuser que de ramentevoir au <strong>le</strong>cteur son jeune âge, <strong>et</strong> qu’il se<br />
trouvait à c<strong>et</strong>te frontière où on bascu<strong>le</strong> d’une seconde à l’autre,<br />
sans apparente raison, de l’état d’enfant à celui d’homme puis<br />
de l’état d’homme à celui d’enfant. Il s’agissait pour lui, dans un<br />
prédicament nouveau qu’il n’avait jamais connu, d’ajuster la<br />
corde à la bonne longueur, ce qu’il ne tarda pas à réussir, étant<br />
f<strong>le</strong>xib<strong>le</strong> lui aussi <strong>et</strong> s’ajustant aux situations avec une plasticité<br />
des plus remarquab<strong>le</strong>s. Mais c’est un point que je tiens à<br />
affirmer haut <strong>et</strong> fort, afin de couper l’herbe sous <strong>le</strong>s pieds à ceux<br />
qui, comme notre curé, auraient plaisir à enfoncer un coin entre<br />
nous deux, oncques n’ai senti de réel<strong>le</strong>s méchanc<strong>et</strong>és dans ses<br />
propos, <strong>et</strong> encore moins du mépris, quand bien même parfois<br />
<strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>s me chauffaient de honte à l’énoncé de mes<br />
insuffisances.<br />
Quand nous revînmes dans la sal<strong>le</strong> commune, Samson <strong>et</strong> la<br />
p<strong>et</strong>ite Hélix ne s’y trouvaient plus, mais Barberine, assise à la<br />
tab<strong>le</strong>, donnait une <strong>le</strong>çon de savoir-vivre <strong>et</strong> de mora<strong>le</strong> chrétienne<br />
à une jeune fil<strong>le</strong> d’une huitaine d’années, laquel<strong>le</strong> était toute de<br />
douceur <strong>et</strong> de timidité, un peu triste, son long visage blanc <strong>et</strong><br />
laiteux encadré par deux grandes nattes blondes qui lui<br />
descendaient assez bas dans <strong>le</strong> dos. Encore ce jour d’hui, je<br />
peine à me ramentevoir si c<strong>et</strong>te garce, fine <strong>et</strong> délicate, était dans<br />
<strong>le</strong> charnier au moment où j’y fus pris, mais il me semb<strong>le</strong> que oui,<br />
sans que je puisse l’affirmer tant sa naturel<strong>le</strong> discrétion avait<br />
tendance à l’effacer du paysage. Je sus plus tard qu’il s’agissait<br />
de Catherine, la p<strong>et</strong>ite sœur de mon maître, née quatre ans<br />
après lui, <strong>et</strong> qui fut <strong>le</strong> dernier enfant de la baronne Isabel<strong>le</strong> si on<br />
excepte <strong>le</strong>s deux p<strong>et</strong>its anges que Dieu rappela à lui par la suite.<br />
Catherine se trouvait face à Barberine <strong>et</strong>, de part <strong>et</strong> d’autre<br />
de la nourrice-gouvernante, étaient disposés ses deux p<strong>et</strong>its,<br />
Ann<strong>et</strong> <strong>et</strong> Jacquou, qui écoutaient aussi attentivement que<br />
l’unique fil<strong>le</strong> du baron. Ann<strong>et</strong>, <strong>le</strong> plus jeune, deux ans à peine,<br />
oyait la <strong>le</strong>çon <strong>le</strong>s yeux ronds, la bouche ouverte, <strong>le</strong>s bras croisés,<br />
tota<strong>le</strong>ment immobi<strong>le</strong>, dans une expectation quasi religieuse,<br />
93