L'avers et le revers
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tempétueuse impatience qui me poussait à attendre debout, à<br />
peine rencoigné en un obscur renfoncement, gu<strong>et</strong>tant <strong>le</strong>s mil<strong>le</strong><br />
<strong>et</strong> un p<strong>et</strong>its bruits du dehors, prêt à bondir, comme <strong>le</strong> lion sur la<br />
fine gazel<strong>le</strong>, au plus p<strong>et</strong>it signe annonçant ma bien-aimée.<br />
Comme à l’accoutumée, <strong>le</strong> temps parut long, <strong>et</strong> à proportion de<br />
ma hâte à étreindre, caresser, embrasser, mordre <strong>et</strong> pénétrer <strong>le</strong><br />
joli corps de ma Margot, dont <strong>le</strong> pensement me nouait assez <strong>le</strong>s<br />
tripes <strong>et</strong> branlait même <strong>le</strong> manche, à peu que je n’en fusse<br />
honteux <strong>et</strong> confus tant <strong>le</strong> désir devenait intolérab<strong>le</strong>.<br />
Mais quand l’attente dépasse une certaine limite, <strong>le</strong> doute<br />
<strong>le</strong>ntement s’insinue, <strong>et</strong> l’inquiétude aussi, ce qui vous fait<br />
quitter ces féroces dispositions au sexe pour laisser place à une<br />
angoisse diffuse, ma foi bien douloureuse. Or donc, Margot ne<br />
venait pas, <strong>et</strong> quand il devint trop évident qu’une chose<br />
inhabituel<strong>le</strong> se produisait, ou s’était produite, je sortis de la<br />
grange, tournai autour d’une bien fébri<strong>le</strong> manière, fouillant du<br />
regard <strong>le</strong>s moindres parcel<strong>le</strong>s des a<strong>le</strong>ntours, <strong>et</strong> ne voyant que<br />
néant, à rebelute mais ne sachant que faire d’autre, je revins au<br />
château.<br />
En notre grande sal<strong>le</strong> commune, je tournai en rond, deçà<br />
delà, dans un tel état d’excitation <strong>et</strong> de tension, <strong>le</strong>s yeux<br />
fiévreux, qu’il ne se peut qu’il n’ait été remarqué par <strong>le</strong>s<br />
présents, mais je ne <strong>le</strong>ur adressai mie la paro<strong>le</strong>, ne désirant<br />
trahir par mon émeuvement la passion que j’avais lors pour<br />
Margot. Ce qui traversa ma cervel<strong>le</strong> en c<strong>et</strong> extrême pâtiment fut<br />
de toute sorte, du plus incertain au moins tangib<strong>le</strong>, n’ayant<br />
nul<strong>le</strong> hypothèse concrète à ruminer, <strong>et</strong> sans cesse ressassant<br />
cel<strong>le</strong> d’un drôl<strong>et</strong> qui se serait montré mieux à son avantage,<br />
jusqu’à la séduire <strong>et</strong> l’entraîner en d’autres lieux. La dou<strong>le</strong>ur en<br />
est vive de c<strong>et</strong>te sordide pensée, qui vire parfois à la plus crue<br />
des images, vous oppresse jusqu’à l’étouffement, <strong>et</strong> revient<br />
toujours à l’assaut dans <strong>le</strong> seul but de vous tourmenter<br />
davantage.<br />
Si bien que, <strong>le</strong> soir venant sans que rien ne vienne expliquer<br />
cela, évitant la Maligou <strong>et</strong> la Gavach<strong>et</strong>te comme Charybde <strong>et</strong><br />
Scylla, à Barberine je confiai mon inquiétude tout en lui celant<br />
au mieux la vraie cause de mes tourments.<br />
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