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L'avers et le revers

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sans sommeil qu’il passa en gémissant, il tomba dans un état de<br />

grande confusion, parvenant à peine à nous reconnaître <strong>et</strong><br />

semblant vivre de véritab<strong>le</strong>s hallucinations qui <strong>le</strong> m<strong>et</strong>taient<br />

dans des frayeurs intenses. Ma mère resta la journée entière à <strong>le</strong><br />

veil<strong>le</strong>r tandis que <strong>le</strong> reste de la maisonnée vaquait dans une<br />

tristesse de plomb aux travaux quotidiens.<br />

Le sur<strong>le</strong>ndemain, Colin montra des signes de folie qui nous<br />

laissèrent désemparés. Quand ma mère s’approchait pour lui<br />

donner à boire, il regardait <strong>le</strong> liquide avec terreur, <strong>le</strong> repoussant<br />

vio<strong>le</strong>mment des deux mains comme s’il s’agissait d’un poison.<br />

Mais <strong>le</strong> pire était ses yeux fiévreux, constamment embués de<br />

larmes, <strong>et</strong> la salive qui lui sortait des lèvres, coulant sur <strong>le</strong><br />

menton de la plus horrib<strong>le</strong> des manières.<br />

Il mourut au cours de la nuit suivante devant nous tous<br />

réunis. Mes parents avaient décidé de brû<strong>le</strong>r des chandel<strong>le</strong>s –<br />

chose rare car cel<strong>le</strong>s-ci coûtaient extrêmement cher – afin<br />

d’attirer sur nous la clémence du Seigneur, mais il n’y fit rien, <strong>et</strong><br />

la mort surprit mon pauvre frère au milieu d’un râ<strong>le</strong> alors que<br />

mon père <strong>et</strong> ma mère, agenouillés au pied du lit, priaient avec<br />

ferveur. Quand mon père se re<strong>le</strong>va, a<strong>le</strong>rté par <strong>le</strong>s derniers<br />

gémissements, <strong>et</strong> qu’il se pencha sur lui, je vis pour la première<br />

fois de ma vie – <strong>et</strong> la dernière – de grosses larmes rou<strong>le</strong>r sur sa<br />

joue. Il se tourna vers nous, <strong>et</strong> ne cherchant nul<strong>le</strong>ment à<br />

dissimu<strong>le</strong>r son émotion, il dit d’une voix brisée par <strong>le</strong> chagrin :<br />

— C’est fini. Il est mort.<br />

Et comme ma mère sanglotait au pied du lit, il ajouta un peu<br />

mécaniquement :<br />

— Dieu l’a rappelé à lui.<br />

Il ne put prononcer d’autres paro<strong>le</strong>s <strong>et</strong> tomba dans une sorte<br />

de prostration, tandis que je regardais, incrédu<strong>le</strong>, <strong>le</strong> corps inerte<br />

de mon frère.<br />

Qui peut comprendre que la vie puisse si soudainement se<br />

r<strong>et</strong>irer, el<strong>le</strong> qui charrie tant de force, surtout dans la p<strong>le</strong>ine<br />

jeunesse ? Est-ce vraiment la volonté de Dieu qui s’exprime en<br />

ces moments-là ? J’espère que <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur me pardonnera c<strong>et</strong>te<br />

dernière pensée car je me rends compte, après l’avoir relue <strong>et</strong><br />

alors que l’encre n’en est pas même séchée, qu’il n’y a pas loin<br />

au blasphème à poursuivre en ce sens. Pourtant, j’ai pensé à<br />

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